GOUDRANE, Tchad – Des centaines de milliers de réfugiés installés en plein désert, cela fait de belles images. Il y a de l’espace, aucune clôture autour du camp, les gens sont libres de circuler, d’aller dans les villages voisins. Mais comment peut-on survivre dans le désert sans abri et avec seulement le tiers de l’eau normalement nécessaire pour vivre?

Plusieurs réfugiés se privent d’une partie des maigres rations qu’ils reçoivent pour les vendre aux marchés. Ils ont besoin d’argent pour acheter ce qui est minimalement nécessaire pour survivre. Comme des abris, que les agences de l’ONU ne fournissent plus depuis quelques mois.
Goudrane, l’annexe du camp d’Iridimi, accueille 50 000 Soudanais qui ont fui les massacres au Darfour depuis avril 2025. Quelque 20 000 personnes, soit 40 % de ces nouveaux arrivants, n’ont toujours pas reçu d’abri. Selon la taille de la famille, on leur donne une ou deux bâches, qu'elles se débrouillent pour installer avec les branches qu’elles peuvent trouver.
C’est ce qu’a fait Mahamat Abdallah, qui s’est réfugié au Tchad en juillet, avec sept jeunes enfants et sa femme. Ils ont fui le Soudan après qu’une bombe est tombée sur leur maison. Une de ses deux épouses et un fils ont été tués dans l’attaque.
Le commerçant de 50 ans a lui-même été grièvement blessé à la hanche. Il souffre le martyre et craint une amputation. Mais ce qui l’indigne le plus, c’est l’absence d’aide. Ma femme est au marché pour vendre des choses qu’elle trouve, les enfants ne trouvent pas à manger et je ne peux pas subvenir à leurs besoins, à cause de ma jambe. Cela me choque beaucoup.

Juste à côté de la tente de fortune de la famille Abdallah, on aperçoit un drôle d’abri de paille, en plein milieu du chemin de sable. Impossible de deviner que c’est une latrine faite avec les moyens du bord.
Selon la norme onusienne, il devrait y avoir une latrine pour 20 personnes – dans les situations d'urgences humanitaires, on tolère un ratio d'une pour 80 personnes. Dans ce camp, il y a une latrine pour 500 personnes. Certains se bricolent donc des abris-toilettes.

Les coupes draconiennes dans les budgets de l’aide internationale, réalisées par les États-Unis et presque tous les pays donateurs, dont le Canada, ont des impacts dévastateurs sur le terrain. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a vu son budget fondre de 40 % au cours de la dernière année.
Quand on parle de manques criants, celui de l'eau est le plus dramatique. Selon les normes humanitaires, pour survivre, un réfugié doit recevoir 15 litres d’eau par jour. Dans le camp de Goudrane, on leur en donne seulement 4, 5 ou 6 litres par jour. Cela force des milliers d’enfants à travailler du matin au soir avec des ânes, sous une chaleur accablante, pour aller chercher de l’eau, jusqu’à quatre kilomètres du camp.

Cette situation expose les enfants, les fillettes en particulier, à plusieurs dangers, comme l’explique Jesinta Lebsonga Tete, l’administratrice à Iriba des programmes pour les violences basées sur le genre du HCR. Elles sont jeunes, de 8 à 12 ans environ, et elles vont à la source sans être accompagnées d’adultes. Du coup, elles courent le risque d'être agressées physiquement ou sexuellement.
Pour le seul mois de septembre, 137 plaintes de violences basées sur le genre ont été reçues dans l’annexe de Goudrane.
Alors que nous suivons ces enfants jusqu’à la source d’eau, une jeune Soudanaise vient nous parler. Sujood, qui a 20 ans, baragouine un peu l’anglais. Finissante en sciences infirmières, elle a fui les massacres à El-Fasher il y a deux mois. Elle fait l’aller-retour vers la source plusieurs fois par jour, tous les jours.
Des automobilistes locaux nous arrêtent et peuvent nous harceler, mais ils finissent par nous laisser partir. Grâce à Dieu, je n’ai pas été violée.
Une citation deSujood, réfugiée soudanaise de 20 ans

Selon le HCR, l’eau que les enfants vont chercher n’est pas potable et peut entraîner de graves problèmes de santé. En Afrique subsaharienne, les maladies diarrhéiques, causées par de l’eau ou de la nourriture contaminée, sont la première cause de mortalité des enfants de moins de 5 ans. C’est encore plus vrai dans les camps de réfugiés, où la proximité accroît les risques de contamination.
Une épidémie de choléra a été déclarée en juillet dernier dans plusieurs des camps de réfugiés, dans l’est du Tchad. Au 26 septembre, plus de 2475 cas suspects ont été recensés, entraînant 141 décès. Les enfants de moins de 5 ans sont les plus vulnérables au choléra, selon l’UNICEF.
Le HCR a commencé à creuser des forages dans la région, mais l’eau reste largement insuffisante pour fournir 15 litres d’eau par jour à près d’un million de réfugiés.

Pour nous, les humanitaires, c'est une situation pénible à vivre, nous dit George Dagbelou, l’administrateur principal de terrain au HCR à Iriba. C'est pour ça qu’on fait un plaidoyer, pour que des oreilles plus attentives nous viennent en aide, on a besoin d’argent pour faire des travaux.
M. Dagbelou, un Béninois dévoué corps et âme à sa mission d’humanitaire, nous emmène voir les camions-citernes qui puisent l’eau et qui la transportent jusqu’aux camps. Mais cette solution n’est pas viable à moyen et à long terme.
Il faut faire plus de forages, construire des canalisations pour acheminer l’eau et des châteaux d’eau. Mais ici, nous sommes dans une zone presque désertique, trouver de l'eau est extrêmement difficile. L’eau est un immense défi.

Et la multiplication des forages risque de tarir certaines nappes phréatiques. Il faut donc forer aux bons endroits, pour ne pas épuiser une ressource déjà extrêmement rare. Le HCR a recruté des experts canadiens pour l’aider en ce sens.
Des géologues et des géophysiciens du bureau BGC Engineering de Calgary feront un deuxième séjour dans l’est du Tchad, en janvier 2026, pour trouver de nouveaux points de forage. Cinq des neuf forages qui ont été creusés en 2024 par le HCR, à partir de nos données, produisent de l’eau pour 55 000 réfugiés, s’ils reçoivent 10 litres par jour, explique Paul Bauman, le principal géophysicien de la firme, par courriel.
Mais le nombre de réfugiés a doublé depuis un an dans la région. La petite ville d’Iriba est maintenant entourée de quatre immenses camps, tous dans le désert, qui accueillent près de 200 000 réfugiés au total.
Résultat : maintenant, la population locale manque aussi d’eau. Ce qui provoque des tensions entre réfugiés et citoyens tchadiens. Les géologues canadiens auront, cette fois-ci, un double mandat. Ils vont aussi aider le HCR à creuser des forages pour les communautés locales.