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Les sanctions, l’autre arme puissante des États-Unis

Auteur: user avatar admin Source: Radio Canada
Les présidents américains emploient les sanctions au nom de la protection de la sécurité nationale des États-Unis. (Photo d'archives)  Photo : Associated Press / Mark Schiefelbein
Les présidents américains emploient les sanctions au nom de la protection de la sécurité nationale des États-Unis. (Photo d'archives) Photo : Associated Press / Mark Schiefelbein

Depuis des décennies, les États-Unis recourent à des sanctions contre des pays, des organisations et des individus aux quatre coins du globe. La première puissance mondiale use de cette arme redoutable au nom de la protection de sa sécurité nationale.

Le 11 décembre dernier encore, le Trésor américain annonçait de nouvelles sanctions visant le Venezuela, touchant notamment deux neveux du président Nicolas Maduro ainsi que six navires transportant du pétrole produit dans le pays.

Au total, à l’heure actuelle, près de 15 000 personnes dans le monde sont sur la liste américaine des personnes sanctionnées. Parmi elles figurent neuf membres de la Cour pénale internationale (CPI), dont la juge canadienne Kimberly Prost, ainsi que la rapporteuse spéciale des Nations unies sur les territoires palestiniens occupés, Francesca Albanese.

Quels principes sous-tendent l’emploi des sanctions par les États-Unis? Et comment explique-t-on leur usage dans certains cas récents?

Entrevue avec Raphaëlle Nollez-Goldbach, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS), enseignante en droit international à l’École normale supérieure, à Paris, et auteure de La Cour pénale internationale, un livre publié en 2018 et réédité en 2024.

Qu’est-ce qui permet aux États-Unis d’Amérique de sanctionner des individus, des organismes ou des États?

Raphaëlle Nollez-Goldbach : En fait, tous les États détiennent ce pouvoir, qui est encadré par leurs législations nationales et les autorisent à adopter des mesures contre un État ou un individu à la suite d’une violation du droit international.

Le droit des États-Unis prévoit que les auteurs d’actions qui mettent en danger la sécurité nationale et la politique étrangère des États-Unis peuvent être sanctionnés par le pouvoir exécutif.

Habituellement, les sanctions adoptées dans ce cadre visent les personnes accusées de terrorisme et de narcotrafic. Ce qui est nouveau, ce sont les récentes sanctions contre la Cour pénale internationale (CPI), ses juges et son procureur.

Pouvez-vous nous éclairer sur la notion d’« extraterritorialité » de certaines lois américaines?

L’extraterritorialité est une notion qui signifie que le droit national d’un État s’applique, dans certains cas, en dehors de ses frontières. Les États-Unis attachent ainsi une portée extraterritoriale à leur droit en matière de sanctions, car celles-ci peuvent toucher des entités partout dans le monde. Il suffit qu’elles détiennent une filiale ou une succursale sur leur territoire, ou que le dollar ou le système financier américains soient utilisés.

C’est la puissance de l’État américain et de son économie qui lui permet de donner cette portée extraterritoriale à son droit, c’est-à-dire de l’appliquer et de l’imposer en dehors du territoire physique des États-Unis.

Des courtiers dans la salle des marchés à Wall Street.
La puissance de l’État américain et de son économie lui permet de donner une portée extraterritoriale à son droit, explique Raphaël Nollez-Goldbach. (Photo d'archives) Photo : Getty Images / Spencer Platt

Les sanctions financières qui visent les juges et le procureur de la CPI – les gels de leurs avoirs financiers (comptes bancaires et autres placements) – s’imposeront ainsi avec efficacité et auront un impact fort. Il ne s’agit pourtant pas de ressortissantes et de ressortissants américains. Mais leurs banques utilisent forcément le dollar américain dans leurs transactions financières et seront contraintes d’appliquer ces sanctions, même si elles concernent des individus étrangers sur un territoire étranger.

On remarque d’ailleurs que les entreprises exécutent quasiment toujours les sanctions des États-Unis, car elles souhaitent continuer à y travailler. Et lorsqu’elles ne les respectent pas, elles sont condamnées à de lourdes amendes (plusieurs milliards de dollars américains).

Les banques françaises Société Générale et BNP Paribas ont par exemple été condamnées pour avoir maintenu des comptes de clients sous sanctions américaines, et ont accepté de payer ces amendes. C’est donc aussi en partie cette position dominante des États-Unis sur les plans économique et financier, grâce à l’usage du dollar, qui leur permet d’appliquer leurs lois à l’étranger.

Les États ou les entités régionales peuvent-ils riposter aux sanctions américaines?

Oui, l'Union européenne (UE) a un mécanisme qui permet de protéger ses citoyens et ses entreprises contre l’application extraterritoriale de décisions d’États non membres. Elle peut, par exemple, les annuler au sein de l’espace de l’UE et interdire qu’elles soient appliquées. Ce mécanisme est fondé sur un texte appelé règlement de blocage, qui avait été adopté à la suite des sanctions américaines visant les entreprises commerçant avec Cuba, l’Iran et la Libye. D’ailleurs, le juge français de la CPI, Nicolas Guillou, visé par les sanctions américaines, a appelé à son application par l’UE.

Cependant, il faut noter que ce mécanisme de blocage des sanctions comporte la possibilité pour les entreprises de demander à appliquer malgré tout les sanctions américaines, lorsqu’il existe un risque d’atteinte grave à leurs propres intérêts. On comprend bien alors que les entreprises européennes auront plutôt intérêt à respecter les sanctions américaines.

La France dispose d’un mécanisme du même genre, mais qui interdit seulement aux entreprises de communiquer des documents et des renseignements économiques et financiers à des autorités étrangères lorsque cela porte atteinte à la souveraineté et à la sécurité de la France.

Il ne semble pas exister de réel mécanisme de protection efficace des individus face aux sanctions des États-Unis.

Pourquoi des juges de la Cour pénale internationale ont-ils été sanctionnés?

Une audience de la Cour pénale internationale.
Six juges et le procureur de la CPI sont l'objet de sanctions des États-Unis. (Photo d'archives) Photo : Getty Images / ANP / AFP / LINA SELG

Six juges et le procureur de la CPI sont la cible de sanctions des États-Unis. Ils le sont pour avoir autorisé l'ouverture d’une enquête sur les crimes commis en Afghanistan (qui inclut des militaires américains et des agents de la CIA) et pour les mandats d’arrêt à l’encontre du premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou et de son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant.

Parmi les juges de la CPI sanctionnés par les États-Unis se trouve le juge français Nicolas Guillou, qui a expliqué dans un entretien au journal Le Monde combien ces sanctions entraînaient des conséquences concrètes sur sa vie quotidienne.

Lors de son premier mandat, Donald Trump avait déjà sanctionné la procureure de la CPI de l’époque (et deux de ses procureurs adjoints), après qu’elle avait autorisé l’ouverture d’une enquête sur les crimes commis en Palestine. Ces sanctions avaient été levées par le président Joe Biden, lors de son arrivée au pouvoir. Il s’agit donc, aujourd’hui, de la deuxième série de sanctions visant des membres de la CPI, adoptée par Donald Trump dès son retour au pouvoir.

Pouvez-vous nous expliquer le cas iranien? Après le retrait des États-Unis de l’accord sur le nucléaire signé aussi par d’autres puissances, des sanctions américaines sont de nouveau imposées à la République islamique d’Iran, et les autres pays ont suivi.

Cet accord, signé entre l’Iran et les États-Unis, la Russie, la Chine, la France, le Royaume-Uni et l’Allemagne, prévoyait la limitation des activités nucléaires iraniennes en échange de la levée des sanctions de l’ONU. Lors de son premier mandat, Donald Trump a décidé de la sortie des États-Unis de cet accord.

La salle du Conseil de sécurité de l'ONU avec les représentants de ses pays membres assis autour de la table.
Les membres du Conseil de sécurité des Nations unies ont voté une résolution présentée par la Russie et la Chine visant à reporter de six mois la réimposition de sanctions à l'Iran lors de la 80e Assemblée générale des Nations unies à New York, le 26 septembre 2025. Photo : Reuters / Eduardo Munoz

Il s’agit d’une décision unilatérale des États-Unis, qui forment le seul État à avoir ensuite adopté des sanctions contre l’Iran. Les autres signataires ont tenté de continuer à faire vivre l’accord et de maintenir des discussions sur le nucléaire, tandis que l’Iran, en réponse aux sanctions américaines, n’en respectait plus les termes.

Cet accord est aujourd’hui arrivé à échéance (le 18 octobre) puisqu’il avait été signé en 2015 pour une durée convenue de dix ans.

Depuis juillet, l’Iran a rompu toute coopération avec l’Agence internationale de l’énergie atomique, organisme onusien chargé du contrôle du nucléaire sur le plan mondial, et l’ONU [à l’initiative de la France, du Royaume-Uni et de l’Allemagne] a, en réponse, de nouveau adopté des sanctions contre Téhéran face au développement de ses activités nucléaires.

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