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Aya Nakamura

Aya Nakamura : “La musique est un milieu de mecs et ça ne me pose pas de problème”

Auteur: admin Source: GQ
Novembre 30, 2023 at 12:16
Costume, Balmain. Collier, Dior.© Thibault-Théodore
Costume, Balmain. Collier, Dior.© Thibault-Théodore
Sa confiance en elle se propage chez toutes les femmes. Symbole de la réussite, de la force légitime, porte-parole libre, Aya Nakamura, autrice-compositrice-interprète est devenue en quelques années une icône, un modèle et une voix pour toute une génération. GQ est fier de pouvoir honorer cette année son pouvoir artistique et son parcours sans faille.

Votre parcours impressionne : vous êtes une artiste francophone phare, l’artiste féminine française la plus écoutée du monde. On a l’impression que rien ne vous arrête. Comment cela affecte-t-il votre quotidien, votre mental ?

  • Je suis un peu dans ma bulle. J’essaie de faire des choses normales, d’aller marcher, d’aller faire du shopping, de délirer aussi avec mes amis le plus simplement possible. Il ne faut pas oublier que la notoriété génère beaucoup trop d’informations surtout quand on est une femme et maman, comme moi. Cela mobilise beaucoup d’émotions. À un moment donné, j’ai eu du mal : j’avais la tête un peu partout, j’étais un peu perdue. Il a fallu que j’apprenne à me canaliser, à ne plus me laisser déborder par ces énergies différentes. J’ai appris à mettre de l’ordre dans ce trop-plein d’émotions. J’essaie d’avoir un cadre rangé pour pouvoir réfléchir.


Avez-vous l’impression d’être devenue un personnage aux yeux du public ?

  • J’ai l’impression que de plus en plus de femmes me prennent pour modèle. Ça m’étonne, parce que ce sont parfois des femmes un peu plus âgées que moi... sans vraiment m’étonner parce que je sais que j’ai toujours été bien dans mes baskets. Je suis un modèle pour mes sœurs, pour mes amies... c’est ce que je suis dans la vie. Je suis la copine que plein de filles auraient aimé avoir. On m’aime bien pour ma sincérité, mon authenticité et ma joie de vivre. Je suis vraie et spontanée, je suis moi-même. Et en plus de ça, je suis sûre de moi, ça attire.


Justement, vous montrez votre assurance, vous êtes assez fière de votre talent et de votre corps comme on peut l’entendre dans votre titre “Dégaine” avec Damso. Il est rare qu’une femme s’affirme de la sorte. D’où ça vous vient ?

  • C’est peut-être mon côté malien, nous, les Maliens – en particulier les Bambaras – on est très arrogants ! (Rires) Je suis issue d’une famille de griots : on se la pète, on aime tout ce qui brille. J’ai été éduquée comme ça par ma mère, qui est très coquette et qui a toujours mis un point d’honneur à nous valoriser. Je suis l’aînée d’une fratrie. Mes sœurs et moi nous sommes toujours lancées des fleurs, à dire qui est la plus belle, qui est la plus boudeuse, à se chamailler... mais de manière très positive. Et je pense que c’est resté. Pour moi, ce n’est pas une honte de se faire des compliments. Au contraire, c’est une très bonne chose, je suis la mieux placée pour le faire pour moi-même.


Vous avez écrit vos premiers textes à l’adolescence. Était-ce un besoin pour vous ? Et comment l’inspiration vous est venue ?

  • Quand j’avais 15 ou 16 ans, j’avais une espèce de journal intime, où je défoulais un peu mes émotions. J’écrivais seulement, sans forcément qu’il y ait de sens dans les phrases. Je les faisais lire à mon entourage. Et petit à petit, je me suis dit que je pouvais écrire une chanson, et voir ce que ça donnerait. Quand je me suis mise à chanter par-dessus, je me suis dit que c’était cool et j’ai continué comme ça. Je n’ai jamais eu peur de montrer toutes mes émotions. Pour moi, c’est ça la force. Que je sois triste, énervée, peu importe, le plus important, c’est de se rendre compte de l’état dans lequel on est.

 


 

Aya Nakamura Hommes de l'anne GQ 2023
Veste, Ambush. Haut, Rabanne. Pantalon, Balmain. Bagues, Copin.© Thibault-Théodore


 

Dans votre style, vous êtes très libre, vous créez parfois des mots. Est-ce que vous écrivez tout ce qui vous passe par la tête ? Vous ne vous posez pas de limites ?

  • Non, c’est spontané. Parfois j’écris des mots parce qu’ils sonnent bien. Je trouve que ça résonne bien avec ma voix, la vibe, la mélodie. Quand je trouve ça stylé, je le laisse. Je n’essaie pas de rendre le texte plus lisse que moi-même. Pour moi, la musique, c’est une vibe, des émotions qu’on transmet. Si mes émotions me disent que je dois poser cette vibe, je le fais.


Dans les thèmes que vous explorez, vous ne vous interdisez rien. Vous parlez, assez facilement de sexualité dans des sons comme “Tous les jours”. Vos textes ne mettent pas nécessairement l’accent sur les relations avec les hommes, ils évoquent aussi beaucoup la sororité, l’ambition, la réussite. Qu’est-ce qui vous donne cette liberté ?

  • Dès mes premiers sons, j’ai parlé de sexualité. Pour moi, il n’y avait pas de frein. J’exprimais juste ma manière de vivre, mon lifestyle, avec mes amis, mes copines, et c’était un mood. Et surtout, je trouvais ça original, parce que je n’avais jamais vu d’autres artistes dans le même délire que moi.


Vous vous êtes quand même imposée dans un univers assez masculin. Est-ce que vous y avez réfléchi ?

  • Au début, je ne savais pas que ça serait difficile. Je m’en suis rendue compte parce que tout le monde m’alertait et me souhaitait bon courage. Alors que je kiffais ! Il est vrai que j’ai grandi dans un endroit où il y avait beaucoup de garçons. J’ai grandi avec les mêmes codes, donc je les connais bien. J’ai des frères et des amis garçons. Et le fait d’avoir été tôt dans la musique m’a conduite à travailler avec une majorité de mecs : le beatmaker, c’est un mec, l’ingé, c’est un mec. C’est un milieu de mecs et ça ne me pose pas de problème.


Qu’est-ce que votre exposition implique pour votre entourage ?

  • L’impact sur ma famille est assez réduit. Mais je fais attention à mes enfants, j’évite de les exposer, parce qu’elles n’ont pas choisi d’être connues. Donc je suis vigilante là-dessus mais, pour le reste, tout va bien.


Est-ce que vous avez une philosophie, une idée des principes d’éducation par rapport à vos filles ? Est-ce qu’il y a des choses que vous voulez leur transmettre ?

  • Je suis très proche de mes filles. Je leur préconise l’ouverture d’esprit et surtout l’estime d’elles-mêmes. C’est compliqué, en tant qu’artiste, d’être maman et chanteuse. Avec un enfant, c’était facile, mais avec deux enfants, la gestion est différente. Il faut apprendre à gérer les emplois du temps, travailler la tournée en fonction des enfants, les horaires de l’école, aller voir les maîtresses. J’en apprends tous les jours et heureusement ma mère me soutient. C’est pour ça que j’ai mis cinq ans à revenir en tournée, parce que je voulais profiter de mes enfants, avoir une vie normale.


Qu’entendez-vous par “une vie normale” ?

  • Une vie normale, c’est une vie sans rendez-vous tout le temps. C’est quand personne ne te parle de travail. Personne ne te met la pression en te disant quoi faire le lendemain. J’ai un planning de malade. Quand je n’ai plus de planning à respecter, et que j’ai du temps pour moi, je retrouve ma vie normale. Il faut savoir mettre pause. Il faut faire attention. Il y a des moments où je me disais que j’aurais peut-être dû accompagner mes enfants. D’autres où ils m’ont manqué. Parfois je ne les voyais pas pendant une semaine. Ça peut être très dur.


Quand vous avez annoncé en début d’année vos trois concerts à Bercy, les billets étaient sold out en 15 minutes. Vous vous y attendiez ?

  • Quand mon tourneur Rémi m’a proposé de faire trois Bercy je me suis dit que je ne pourrais jamais les remplir. Je pensais pouvoir remplir un Bercy en un mois ou deux mois. Du coup, quand on a tout rempli en même pas 15 minutes, j’étais choquée. Je me suis demandé : “Qu’est-ce qu’il se passe ?” Je n’avais pas réalisé. La vision qu’ont les gens de moi et ma perception de la célébrité n’ont rien à voir.


Et comment se sont passées les retrouvailles avec le public ?

  • Au début, j’avais le trac, j’avais la pression. Et puis, j’ai eu l’impression de recevoir beaucoup d’amour. Beaucoup de passion de la part du public, surtout des femmes. J’ai senti que les gens me regardaient vraiment, m’écoutaient. Ils ont vécu le son avec moi trois jours de suite.

 

 

Aya Nakamura Hommes de l'anne GQ 2023
Robe, Jean Paul Gaultier Archives. Chaussures, Amina Muaddi.© Thibault-Théodore
 

Tout à l’heure, vous évoquiez les femmes qui s’inspirent de vous. Vous inspirez-vous d’autres femmes ?

  • Je me suis toujours inspirée de Beyoncé. Je regardais ses lives en boucle et j’étais frappée par sa capacité à faire sentir la musique. Je ne vois pas l’intérêt d’un concert si l’artiste ne fait pas vivre ses morceaux d’une autre manière ou mieux que dans ses albums. Et Beyoncé est une des rares artistes qui sache le faire sur scène. Parfois, elle pleure même sur scène. Je ne sais pas si j’arriverai à pleurer sur scène, mais ça m’inspire.


Vous avez l’image d’une femme forte qui avance un peu comme un bulldozer. Vous doutez parfois ?

  • Oui, ça m’arrive de douter, de me poser des questions, et même de tout remettre en question. Mais après, j’ai tendance à penser qu’il y a toujours un signe. Je finis toujours par voir un signal qui me rassure et me remonte le moral.


Récemment, la chanteuse Pomme a dit qu’elle regrettait sa Victoire de la musique face à vous. Elle dit avoir été mal à l’aise du fait que vous étiez “une meuf noire qui ne vient pas de Paris centre” que l’on ne vous considérait pas aussi bien qu’elle, qui est plus privilégiée.

  • Elle a dit ça ? Je ne savais pas. Oui, je pense qu’il y a beaucoup d’injustices concernant les Victoires. Mais je ne vais pas m’étaler dessus parce que je pense qu’il y a des choses qu’on sait déjà. Il y a des préférences. Je pense qu’il y a un quota. Je n’étais pas contente le jour où j’ai perdu, je ne comprenais pas pourquoi je n’avais pas gagné. Mais je ne lui en veux pas. Je ne faisais pas partie du quota sélectionné. Et le fait que je sois la meilleure ou pas, que je sois numéro 1 ou pas, n’y a rien changé.


Quand vous êtes apparue sur la scène publique, on a vu pas mal de réactions vexatoires ou négatives. Votre nom a été écorché à plusieurs reprises. Votre langue, la manière dont vous maniez les mots ont été critiquées. Comment avez-vous vécu ces moments ?

  • Au début, je ne comprenais pas trop, parce que je ne voyais pas ça comme des moqueries, mais plutôt comme des jugements. Et c’est ensuite, quand je suis allée aux NRJ Music Awards, que j’ai compris à quel point les gens étaient presque dégoûtés par mon langage. Ils se disaient : “Mais qu’est-ce que c’est que cette nana ? D’où elle sort ?” Ils n’avaient peut-être jamais croisé de meufs comme moi.


C’est quoi une meuf comme vous ?

  • C’est une renoi qui a grandi avec des codes sociaux différents. Je viens de la banlieue, et ensuite j’ai grandi à Paris. J’ai un peu tout vu. Et je pense que certains n’ont jamais vu de renoi comme moi. Et ce n’est même pas méchant. Parfois les gens réagissent peut-être de manière négative parce qu’à la télé ils ont vu des trucs sur les rebeus ou sur les renois. Donc je dois leur faire le même effet. Je crois que la plupart des bourges qui m’écoutent, se disent “Aya, c’est une vieille meuf ”. Alors qu’en vérité j’ai même pas leur time.


Votre musique a plu à énormément d’artistes internationaux, vous avez été validée par Rihanna, Maluma, Neymar. Vous avez aussi été invitée sur scène par Alicia Keys lors de son concert parisien. Avez-vous des projets pour l’international ? Des collaborations ou prestations qui vous font rêver ?

  • J’avoue que je ne me pose pas trop la question. Il n’y a pas d’endroit où je rêve de performer. Je crois que j’ai déjà accompli mes rêves en termes de performances, parce que mon premier cadeau, c’est le public que j’ai. Ça me va très très bien. Je ne suis pas très compliquée, moi. (Rires)

 

 

Aya Nakamura Hommes de l'anne GQ France 2023
Trench, Versace.© Thibault-Théodore


 

Beaucoup de choses se passent dans votre vie. Comment prenez-vous soin de vous ?

  • Je me repose, je me fais masser. Je prends soin de moi en étant dans la vie normale. C’est l’endroit où je reçois le moins de pression. Parce que plus on est connu, plus il y en a. À un moment donné, j’en avais beaucoup. Quand ma notoriété a atteint son pic, je ne m’y attendais pas du tout. Tout le monde parlait de moi, était en mode “Ouah !”, et moi je me demandais : “Qu’est-ce qu’il se passe ?” J’avais l’impression que le monde entier me découvrait et que j’étais mise à nu. Ça m’a fait peur. Cette sensation, elle s’est calmée. Mais aujourd’hui, j’ai besoin de prendre du temps, de marcher dans la nature, de voir des gens, discuter avec des gens, sans qu’on me reconnaisse. C’est comme ça que je prends soin de moi. J’aime aussi voyager, profiter de la vie d’artiste. C’est bien de parler d’argent et d’en gagner, mais il faut aussi le dépenser. En profiter, faire du shopping, se faire coquette, c’est important. J’essaie de me détendre le plus possible.


Avez-vous une spiritualité qui vous accompagne, une foi ?

  • Je dirais que je suis plus à l’instinct. Après, je crois en Dieu, mais je ne me mens pas à moi-même. Pour moi, Dieu, c’est celui qui ne nous jugera jamais. C’est l’endroit où on peut se reposer, être nous-mêmes à 100 % sans forcément qu’on nous voie et qu’on nous entende. C’est pour ça que je crois que se mentir à soi-même est la pire des choses.


Au début de votre carrière, on vous avait demandé d’éclaircir votre peau pour avoir plus de succès. Comment voyez-vous les choses rétrospectivement ?

  • J’ai l’impression que, maintenant, la tendance a changé. Aujourd’hui, on n’a aucun souci à faire signer une dark skin et plus elle est noire, mieux c’est. C’est tant mieux, j’ai eu raison de ne pas le faire.


D’ailleurs cette année vous avez rejoint le cercle prestigieux des égéries Lancôme. Un rêve devenu réalité ?

  • Je connaissais Lancôme comme tout le monde connaît Lancôme, mais cette collaboration dépasse tout ce que j’imaginais. Ça dépasse la notoriété que j’avais construite sur mon nom. C’est un tout autre niveau d’exposition auquel je m’attendais pas. Je ne pensais pas que ça aurait autant d’impact, j’ai pris une claque. Quand nous avons tourné la publicité, c’était un truc de fou d’être au Louvre et de tourner avec de si grands noms à mes côtés. Pourtant, je n’imaginais pas que ça ferait autant de bruit sur les réseaux sociaux, que tant de monde serait surpris et surtout que ça ferait autant parler.


La plupart des égéries Lancôme sont des stars de cinéma, comme Julia Roberts, Penélope Cruz, Lupita Nyong’o ou Juliette Binoche. Est-ce que ça signifie qu’on vous verra un jour sur grand écran ?

  • J’aimerais beaucoup mais avec un rôle qui me convient. J’ai déjà reçu des propositions il y a quelques années, ça n’était pas très convaincant, trop de clichés. Mais je ne suis pas fermée à l’idée de faire du cinéma. J’aimerais un rôle qui m’irait bien, qui ne soit pas caricatural. Je n’accepterai pas un rôle simplement pour faire parler.


Quel effet cela vous fait-il d’être une icône de mode ?

  • Ce n’était pas prévu. Et pourtant, au départ, je voulais être mannequin. Tout ça tombe donc très bien, c’est cool ! Ça me permet d’allier les deux, de faire de la musique tout en étant mannequin et en travaillant enfin dans la mode. C’est ce que je disais au début de notre entretien. J’ai l’impression que, maintenant, je suis une icône du moment. J’ai fait Vogue, ensuite Balenciaga, et tant d’autres choses. Et ensuite Lancôme ! Et maintenant, GQ ! Tout ça est très très mode. Et je suis fière de moi.


Que diriez-vous aujourd’hui à la petite Aya qui écrivait des textes ?

  • Je lui dirais d’être encore plus têtue. (Rires)

 

 

Manteau Ferragamo. Robe Balmain.
Manteau, Ferragamo. Robe, Balmain.© Thibault-Théodore


 

CRÉDITS DE PRODUCTION

Journaliste : Rokhaya Diallo
Photographe : Thibault-Théodore
Styliste : Pierre A. M'Pelé
Hair : Raphie Bantsimba
Make-up : Majha Denissova
Manucure : Mélanie Gracia
Chef décorateur: Nicola Scarlino
Movement Director : Nick Coutsier
Assistants photo : Maria Galea, Elena Santolaya, Tom Kleinberg et Abdoul Adjagbe
Assistant styliste : Pierre Dufait
Production : Radikal Production
Directrice de Production : Clara Alapont
Opérateur Digital : Tsuvasa Saikusa
Post Production : D-Factory
Remerciements à Ayoub Agourram

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