Liban

Le Liban redoute plus qu’un vide sécuritaire après le départ des Casques bleus

Photo : Radio-Canada / Mohammad Yassine
Photo : Radio-Canada / Mohammad Yassine

Le retrait de la FINUL, présente depuis 50 ans dans le sud du Liban, fait aussi craindre un gouffre économique.


Un calme inhabituel règne à la frontière entre Israël et le Liban, deux pays techniquement en guerre malgré un accord de trêve signé il y a près d’un an.

Attention! Restez à nos côtés et n’ayez pas peur si vous entendez un drone israélien approcher, lance, impassible, l'un des cinq Casques bleus en patrouille dans le sud du Liban.

Radio-Canada a accompagné un convoi de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (FINUL) le long d’une partie de la « Ligne bleue », un tracé qui délimite la frontière entre le nord d’Israël et le sud du Liban.

Cette mission de maintien de la paix de l’ONU, créée en 1978 et composée de plus de 10 000 militaires en provenance de 47 pays, s’apprête désormais à plier bagage, son mandat n'ayant été prolongé par le Conseil de sécurité que d'une seule année, sans possibilité d’extension, soit jusqu'à la fin de 2026.

 

Un soldat onusien vu de dos en train de regarder au loin à l'aide de jumelles.
Un soldat de la FINUL surveille la frontière entre le nord d'Israël et le sud du Liban. Photo : Radio-Canada / Mohammad Yassine

En cette matinée ensoleillée de fin septembre, nous nous trouvons à quelques mètres d’un long mur, formé de blocs de béton de 10 mètres de haut, au milieu d’un terrain montagneux et recouvert de broussailles. Aucun drone à l’horizon, mais la prudence reste de mise. En un peu plus d’un mois, la FINUL a été la cible de trois attaques de drones israéliens.

L’une des attaques les plus graves est survenue cette semaine, lorsqu’un Casque bleu a été blessé par une grenade israélienne larguée près d'une position de l’ONU dans le sud du Liban.

Deux semaines plus tôt, la FINUL avait signalé des attaques similaires, affirmant que des drones israéliens avaient largué plusieurs grenades à proximité de ses soldats qui assuraient la sécurité d'ouvriers chargés de déblayer des décombres laissés par la guerre de deux mois qui a opposé l’État hébreu au Hezbollah.

 

Un tas de débris sur le bord d'une route.
Une maison complètement détruite dans le village de Tayr Harfa, dans le sud du Liban, à la suite d'un bombardement israélien. Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Et en septembre, des drones de l’armée israélienne ont largué quatre grenades à proximité de Casques bleus qui dégageaient des barrages routiers entravant l’accès à une position de l’ONU, non loin de la « Ligne bleue ».

Israël, de son côté, a démenti avoir ciblé les soldats de l’ONU de manière délibérée, affirmant que ses troupes avaient lancé des grenades assourdissantes pour éloigner une menace potentielle à la frontière.

L’accord de trêve, signé en novembre 2024 entre Israël et le Liban, prévoit que seules l'armée libanaise et la force de paix de l'ONU soient déployées à la frontière avec Israël, y excluant la présence à la fois du Hezbollah et de l'armée israélienne. Mais celle-ci continue de maintenir des troupes dans cinq positions frontalières jugées stratégiques dans le sud du Liban, tandis que le Hezbollah, considéré comme un groupe terroriste par le Canada, refuse de remettre ses armes aux autorités libanaises.

En près d’un an, les Casques bleus de l’ONU ont découvert 318 caches d’armes dans le sud du Liban. Ils ont également détecté plus de 2000 violations de l’espace aérien libanais de la part de l’armée israélienne.

Le poids de l'impartialité

Sept tonnes. C’est le poids du véhicule blindé dans lequel embarquent les Casques bleus de l’ONU lorsqu’ils se déplacent le long de la frontière, dans le sud du Liban. La porte, à elle seule, pèse 200 kilogrammes, précise un des militaires à bord du convoi dans lequel a embarqué Radio-Canada.

 

Un militaire onusien vu de dos de l'intérieur d'un char.
Un militaire de l'ONU vu de l'intérieur d'un véhicule blindé patrouillant dans le sud du Liban. Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

En plus du risque d’être pris pour cible par des drones israéliens, des incidents ont souvent opposé des patrouilles de Casques bleus à des habitants du Liban-Sud, notamment des partisans du Hezbollah.

Ceci est la preuve de notre impartialité, dit Kandice Ardiel, porte-parole de la FINUL, rencontrée dans son bureau du quartier général de la mission onusienne à Naqoura, une ville côtière limitrophe de la frontière avec Israël.

 

C'est en quelque sorte le problème d'être au milieu et d'essayer d'être un arbitre impartial : on ne va jamais satisfaire les deux camps.

Une citation deKandice Ardiel, porte-parole de la FINUL

 

Nous ne favorisons aucune partie, nous sommes ici pour assurer la sécurité et la stabilité du Liban-Sud, le long de la Ligne bleue et dans toute la région. Et c'est ce que nous allons continuer de faire, ajoute cette Canadienne originaire du nord de l’Ontario.

Au cours de cette année, nous allons nous concentrer sur une tâche principale, qui est celle de soutenir les Forces armées libanaises afin qu'elles puissent combler le vide qui sera laissé après le retrait des Casques bleus, assure encore Mme Ardiel.

 

Portrait d'une femme portant des lunettes et une robe bleue.
Kandice Ardiel, porte-parole de la FINUL posant dans le quartier général de la mission onusienne à Naqoura, dans le sud du Liban. Photo : Radio-Canada / Mohammad Yassine

À partir de 2027, c'est l'armée libanaise qui devra à elle seule assurer la sécurité dans le sud du pays. Une tâche titanesque pour cette force qui n’a pas été épargnée par la crise financière sans précédent qui frappe le Liban depuis plus de cinq ans.

En plus de manquer de personnel et d'équipements, l'armée libanaise peine même à payer les salaires de ses troupes. Le salaire mensuel moyen d’un soldat libanais est désormais d’environ 150 $, alors qu’il était de près de 900 $ avant la crise de 2019.

 

Si les Casques bleus partent et que le vide n’est pas comblé, cela va poser problème. Ce sera un problème pour les habitants d'ici et pour la stabilité de la région. Nous y accordons donc une attention particulière et nous sommes conscients de l'importance de cette mission.

Une citation deKandice Ardiel, porte-parole de la FINUL

 

Selon Mme Ardiel, il faudra de l’aide de la communauté internationale pour renforcer les capacités de l’armée libanaise afin qu’elle puisse réellement prendre le contrôle total de la sécurité du Sud. Mais le temps presse, ajoute-t-elle. Nous serons présents à chaque étape pour aider les forces libanaises d’ici à décembre 2026, mais ce sera un défi pour nous tous.

 
 

 

Un véhicule blindé de l'ONU patrouillant dans le sud du Liban.
Un véhicule blindé de l'ONU patrouillant dans le sud du Liban. Photo : Radio-Canada / Mohammad Yassine

Un impact économique

En plus du vide sécuritaire que le retrait de la FINUL pourrait laisser dans le sud du Liban, son départ va aussi entraîner un véritable gouffre socio-économique dans cette région défavorisée du pays.

La mission onusienne, dont le budget s’élève à quelque 500 millions de dollars, emploie plus de 600 contractuels libanais, des habitants du Sud pour la plupart. Une centaine d’entre eux travaillent comme traducteurs, le reste occupant des postes divers comme comptables, agents de communication, cuisiniers, et autres.

Hassan, qui souhaite garder l’anonymat, travaille comme chef cuisinier dans le quartier général de la FINUL à Naqoura depuis 15 ans. Cet homme de 38 ans dit diriger une équipe de 15 personnes, tous des résidents du Sud. Chacun d’eux touche un salaire mensuel minimal de 500 $ US.

La situation sera très difficile si la FINUL quitte la région, dit-il. La mission représente un moteur économique pour tout le Sud. Beaucoup de familles seront affectées.

 

Deux chaises en plastique en face d'un mur borné de fils barbelés.
Un café vide devant le quartier général de la FINUL, à Naqoura, dans le sud du Liban. Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

Les commerces avoisinant les bases de l’ONU redoutent eux aussi le départ des Casques bleus.

Tous mes clients travaillent pour la FINUL, explique Oum Ahmad, une femme voilée dans la cinquantaine qui loue un conteneur noir aménagé en casse-croûte, installé devant l’entrée du quartier général de la mission. Je vais être triste si les Casques bleus quittent le Liban, ils sont ici depuis que je suis toute petite!

Leur départ va nous faire mal à nous tous, renchérit Salim, un pharmacien qui, tout comme Oum Ahmad, refuse de se faire prendre en photo. Il a, lui aussi, converti un conteneur situé en face du quartier général de l’ONU pour y vendre des médicaments.

 

En plus de leur poids économique dans la région, ce sont eux qui assurent le maintien de la paix ici. Que se passera-t-il après leur départ? Personne ne le sait, mais, à mon avis, cela n’augure rien de bon.

Une citation deSalim, un pharmacien de Naqoura

 

Plus encore, la FINUL fournit de l’assistance humanitaire, médicale et même psychologique dans les communautés du Sud, où les besoins sont importants en raison de l’instabilité régionale et des conflits à répétition avec Israël.

 

Un conteneur noir.
Un conteneur aménagé en casse-croûte devant le quartier général de la FINUL à Naqoura, au Liban-Sud. Photo : Radio-Canada / Rania Massoud

À Ayta al-Chaab, par exemple, une psychologue de l’ONU offre ses services aux quelque 50 familles qui sont retournées vivre dans le village complètement ravagé par les bombardements israéliens.

Le soutien psychologique peut être perçu comme une manière de préserver la stabilité dans la région, indique une psychologue qui travaille pour les Casques bleus, mais qui préfère garder l’anonymat.

Il faut aussi penser aux déplacés qui ont quitté leur maison pendant près de deux ans pour se réfugier dans une salle de classe d’une école à des dizaines de kilomètres de chez eux, ajoute-t-elle. Ces gens ont besoin de soutien, pas seulement en matière de santé, de nourriture ou de vêtements, mais aussi en termes de résilience.

Soutenir les communautés fait partie de notre mandat, dit-elle encore. On ne s’attend pas à des résultats aujourd’hui ou demain. On fait ce travail pour les générations futures, pour l’avenir.

 

Des enfants saluant des Casques bleus dans la cour de l'école publique d'Aytite dans le sud du Liban.
Des enfants saluant des Casques bleus dans la cour de l'école publique d'Aytite dans le sud du Liban. Photo : Radio-Canada / Mohammad Yassine

La FINUL mène également plusieurs initiatives pour soutenir les écoles et les hôpitaux de la région. À la veille de la rentrée scolaire, l’école publique du village d’Aytite, situé non loin de la grande ville côtière de Tyr, a reçu un don de fournitures scolaires de la part du bataillon italien de la mission onusienne.

Une autre école, à Ghandouriyeh, a quant à elle obtenu de la part du bataillon espagnol une installation de panneaux solaires pour assurer un approvisionnement énergétique durable aux élèves.

C’est sûr qu’on va ressentir une perte importante lorsque la FINUL va partir, se lamente Hassan Raad, le directeur de l’école publique d’Aytite, qui accueille environ 130 élèves.

Il refuse de croire à la fin annoncée de la mission onusienne dans environ un an. On verra bien d’ici là, dit-il. La politique internationale change tous les jours, rien n’est définitif.

 

Quatre hommes posant devant des boîtes en carton recouvertes du drapeau de l'ONU.
Le directeur de l'école publique d'Aytite (deuxième à partir de la droite) posant avec le commandant du secteur ouest de la FINUL, le général italien David Colussi, qui lui a remis une donation de fournitures scolaires. Photo : Radio-Canada / Mohammad Yassine

 

L’aide de la FINUL nous permet de poursuivre notre mission, surtout que le gouvernement libanais n’est même pas capable d’assurer nos besoins les plus basiques.

Une citation deHassan Raad, directeur de l’école publique d’Aytite

 

Un effet des coupes américaines

La décision du Conseil de sécurité de l’ONU de ne pas renouveler le mandat de la FINUL au-delà du 31 août 2026 a été prise sous la pression des États-Unis et d’Israël, au moment où le gouvernement libanais s’est engagé à désarmer et à démanteler le Hezbollah d’ici la fin de l’année dans le cadre de l’application du cessez-le-feu.

Cette décision intervient aussi au moment où les États-Unis ont annoncé des coupes massives dans leur aide à l'étranger, affectant les missions des Casques bleus à travers le monde. La semaine dernière, un haut responsable onusien a annoncé que le nombre de Casques bleus dans le monde allait être réduit de 25 % − soit 13 000 à 14 000 soldats et policiers − dans les prochains mois à cause des coupes budgétaires américaines.

Cette baisse d'un quart du nombre des Casques bleus devrait affecter 9 des 11 missions onusiennes de maintien de la paix sur la planète, dont la FINUL au Liban.

 

Un soldat de la FINUL vu à travers la fenêtre d'un blindé.
La baisse du nombre de Casques bleus dans le monde devrait affecter 9 des 11 missions onusiennes de maintien de la paix, dont la FINUL. Photo : Radio-Canada / Mohammad Yassine

 


Selon Kandice Ardiel, porte-parole de la FINUL, l’impact sur les communautés sera inévitable. C’est pour cela que nous essayons de mobiliser la communauté internationale pour qu’elle investisse dans la reconstruction au Liban afin de préserver la stabilité et la sécurité de la région, dit-elle. C’est notre objectif ultime et nous espérons y parvenir.

Mais plus que des troupes sur le sol, elle tient à rappeler que les Casques bleus vivent et travaillent auprès des communautés dans le sud du Liban depuis près de 50 ans. Ils y entretiennent des liens étroits.

Notre mandat principal, c’est d’assurer la sécurité et la stabilité, mais c’est aussi de faire en sorte que les habitants du Liban-Sud se sentent assez en confiance pour retourner vivre chez eux.

 

Le mandat de la FINUL :

À l’origine, la FINUL a été établie en mars 1978 par le Conseil de sécurité pour :

  • confirmer le retrait des troupes israéliennes du sud du Liban;

  • rétablir la paix et la sécurité internationales;

  • aider le gouvernement libanais à rétablir son autorité effective dans le sud du pays.

Après la guerre de juillet 2006, son mandat a été ajusté. En plus de l'exécution de son mandat initial, la mission devra :

  • contrôler la cessation des hostilités;

  • accompagner et appuyer les forces armées libanaises à mesure de leur déploiement dans tout le Sud;

  • fournir son assistance pour aider à assurer un accès humanitaire aux populations civiles et le retour volontaire des personnes déplacées dans des conditions de sécurité.

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Auteur: user avatar admin Source: Radio Canada
Octobre 17, 2025 at 13:30
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