Devenir manager ? Non merci. Cette fonction n'est plus perçue comme le graal ou la seule manière d'évoluer professionnellement. Wissam Badaoui, un expert en ressources humaines de 24 ans, est catégorique : manager « ça ne m'intéresse pas du tout ». « Je trouve que c'est trop de charge mentale, énormément de travail qui s'ajoute au travail de base, le tout pour une augmentation qui ne compense pas l'aspect très chronophage de cette fonction », juge-t-il.
Selon une étude de l'Apec publiée fin 2023, un peu plus de la moitié (56 %) des cadres de moins de 35 ans souhaitent devenir manager, un chiffre en recul de sept points sur un an. Et ce phénomène ne concerne pas que les jeunes : tous âges confondus, 20 % des cadres ne souhaitent pas gérer d'équipe, révélait une étude OpinionWay pour Indeed publiée en 2021.
« Les managers de proximité sont pris entre le marteau et l'enclume. Ils doivent gérer en permanence tous les sujets du quotidien mais, en plus, être humains et compréhensifs. Cette fonction n'attire plus parce qu'elle est perçue comme très risquée, envahissante et mal reconnue », tranche Benoît Serre, le vice-président de l'Association nationale des DRH (ANDRH).
Solitude et augmentation insuffisante
« Le manager est toujours un peu écartelé entre la responsabilité de porter certaines décisions de la direction avec lesquelles il n'est pas toujours aligné et le fait d'être lui-même un collaborateur managé. Il peut se sentir seul », confirme Séverine Loureiro, directrice générale du Lab RH, une association de promotion de l'innovation RH.
Bien que le pourcentage puisse varier fortement en fonction de la politique salariale à l'oeuvre dans l'entreprise, les observateurs du secteur estiment qu'un collaborateur promu manager peut escompter une augmentation de l'ordre de 10 %. Une hausse de la rémunération qui est perçue comme insuffisante face aux difficultés de cette fonction.
Le problème de cette obsession de faire monter les collaborateurs dans les étages c'est que vous nommez manager des personnes qui sont très douées dans leur métier mais qui se révèlent de mauvais managers
Benoît Serre, vice-président de l'ANDRH
Selon une étude Apec de 2022, 65 % des managers ont l'impression de faire face à une charge de travail insurmontable (contre 47 % des non-managers), 62 % ressentent un sentiment d'épuisement professionnel et 64 % un stress intense.
« Les collaborateurs observent l'état dans lequel sont leurs managers : leur santé mentale est beaucoup touchée, c'est chez eux que l'absentéisme pour motifs psychologiques est le plus important », explique Christophe Nguyen, psychologue du travail et fondateur du cabinet Empreinte humaine.
Refuser une promotion, un choix délicat
Malgré ce constat, en France, devenir manager reste souvent la seule manière d'évoluer professionnellement. Et refuser une promotion un choix délicat qui peut être perçu comme un manque d'ambition. « Moi, je fais profil bas. Je dis que ce n'est pas le moment, que je n'ai pas le temps comme j'ai une activité d'indépendante à côté », raconte Anaïs Rostaqi, une jeune conseillère clientèle qui a monté une société spécialisée dans la technologie durable en parallèle de son emploi salarié, pour évoluer professionnellement sans devenir manager.
« Le problème de cette obsession de faire monter les collaborateurs dans les étages, c'est que vous nommez manager des personnes qui sont très douées dans leur métier mais qui se révèlent de mauvais managers. C'est doublement perdant pour l'entreprise », constate Benoît Serre.
D'autant plus que les nouveaux managers ne sont pas toujours formés à leurs nouvelles fonctions. « Les formations interviennent parfois entre un et deux ans après la prise de poste », observe Aude Boudaud, directrice au sein du cabinet de recrutement Robert Walters. « S'il y a moins de jeunes qui veulent devenir managers, je pense que c'est aussi parce que les entreprises ou les services de ressources humaines ne les outillent pas assez », estime Séverine Loureiro, qui a travaillé pendant vingt ans dans les ressources humaines.
La période des demandes d'augmentation peut par exemple être génératrice de stress pour les managers récemment nommés. Choisir entre le « saupoudrage » - c'est-à-dire donner une petite augmentation à tout le monde - ou rétribuer celui qui a le plus performé dans l'équipe, gérer la frustration de ceux qui n'ont rien obtenu… « Ce sont des décisions difficiles à prendre et à porter ensuite auprès de l'équipe. On parle parfois de courage managérial mais il n'y a pas de cours à l'école pour apprendre à gérer ça, c'est quelque chose d'intimidant », explique Séverine Loureiro.
Les entreprises au défi de réinventer la fonction
L'expert en ressources humaines Benoît Serre voit pourtant une évolution dans ce domaine. « Les jeunes ont plus de facilité que les autres générations à dire que ça ne les intéresse pas de devenir manager », observe le vice-président de l'ANDRH. « Par contre, ce n'est pas pour autant qu'ils renoncent à l'évolution de leur rémunération. Donc c'est un défi pour les entreprises d'arriver à valoriser à la même hauteur une évolution dans l'expertise ou dans le management », explique-t-il.
Reste qu'il faut quand même aussi recruter des managers, à moins qu'ils ne soient amenés à disparaître, comme chez Amazon, qui a annoncé en septembre vouloir réduire les niveaux hiérarchiques entre la direction et les employés ? Non, tempèrent les professionnels français du secteur. En tant que premiers interlocuteurs des collaborateurs, leur rôle est même essentiel pour détecter les signaux faibles de désengagement et ainsi retenir les talents, estime Carlos Fontelas de Carvalho, le président France d'ADP.
Alors pour améliorer l'attractivité de la fonction, « il faudrait leur donner plus d'autonomie et alléger le plus possible les tâches chronophages comme le reporting », conseille Benoît Serre qui espère, qu'à terme, l'intelligence artificielle pourra s'occuper de ces comptes rendus pour laisser au manager le temps de faire ce que les robots ne peuvent pas encore remplacer : gérer l'humain.
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