Finies les vagues de migrants à la frontière entre les États-Unis et le Mexique. Les autorités frontalières américaines rapportent très peu d’interpellations. Du jamais-vu en plus de 50 ans. Ce qui ne veut pas dire que les migrants sont tous rentrés à la maison. Beaucoup se retrouvent au Mexique, parfois malgré eux.
Les bruits viennent de partout autour du marché Sebastian Escobar, à Tapachula. Les vendeurs ambulants ont envahi les rues. Il ne reste qu’une mince voie pour les véhicules. Impossible de marcher en ligne droite.
Dans cette foule chaotique, les étrangers sont très nombreux. Et bien visibles.
Collée sur le Guatemala, Tapachula est la principale porte d’entrée pour les migrants qui cherchent à réaliser leur rêve américain. Ou une version modifiée, ajustée aux politiques de l’administration Trump.
Islande, une Haïtienne, pousse un petit panier rempli de produits frais à vendre. Des limes, des bananes, des poivrons verts. La débrouille pour survivre. Ça marche plus ou moins bien, dit-elle. Des jours, je ne vends rien.

Ça fait sept mois qu’elle et sa compagne Fabienne partagent une chambre en attendant une réponse à leur demande de statut de réfugiés. Un sésame essentiel, long à obtenir.
Un peu plus loin, Victor offre des cartes téléphoniques.
Arrivé du Venezuela il y a huit mois, il dit se plaire ici. Lui aussi attend que sa situation soit régularisée par les autorités mexicaines.
La musique promotionnelle résonne fort sur la place devant l’hôtel de ville. Assis sur les murets, adossés aux lampadaires, de nombreux migrants vivotent, sans argent ni emploi pour s’occuper.
Certains sont ici depuis que Donald Trump est retourné à la Maison-Blanche. D’autres arrivent à peine, comme insensibles aux vents contraires qui soufflent sur l’Amérique du Nord.

Parmi eux, ce jeune homme, Claudio, dont la mère a payé des passeurs pour le faire entrer au Mexique. Elle n’a pas les moyens de me faire entrer aux États-Unis. Il faut quitter Haïti pour survivre.
Il y a encore beaucoup de personnes qui arrivent, confirme Pierre-Marc René, porte-parole du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés à Tapachula. Au rythme où vont les choses, il s’attend à ce que près de 80 000 demandes d’asiles aient été déposées en 2025. Ce n’est pas un record, mais ça demeure élevé.
Le rôle du Mexique dans la migration a changé. Il n'est plus simplement un pays à traverser en route vers les États-Unis. Il est devenu la destination de bien des migrants fuyant leur pays.
En cinq ans, plus de 500 000 étrangers ont demandé à être reçus au Mexique. Tout un contraste avec les quelques milliers de demandes enregistrées il y a une décennie à peine.
La position géographique de Tapachula n’est pas la seule raison expliquant la présence de tant d’étrangers. La ville est aussi l’un des points clés dans une politique migratoire visant à éloigner les migrants de la frontière américaine.
Ceux qui demandent l'asile ici doivent légalement rester dans l’État du Chiapas jusqu’à ce que leur dossier soit étudié. Un processus qui s’est allongé avec les arrivées records des dernières années.
On parle d’un minimum de neuf à douze mois, explique Gisela Centeno, du Centre des droits humains Fray Matias, à Tapachula. C'est l’une des principales ONG qui défendent les migrants dans le sud du Mexique.

Mme Centeno rappelle que les autorités mexicaines ont instauré un système de ceintures pour filtrer le passage des migrants vers les États-Unis. Ceux dont les papiers ne sont pas en ordre sont refoulés. Souvent renvoyés à Tapachula.
Dans certains cas, des migrants avec des documents valides auraient aussi été refoulés vers le Sud, dans un secteur pauvre où il y a peu d’emplois.
Tapachula, on en parle comme d’une ville prison, laisse tomber Gisela Centeno. C’est ici aussi que sont envoyés une partie des étrangers expulsés des États-Unis par l’administration Trump.

C’est le cas de l’Haïtien Réginald, qui se retrouve à Tapachula pour une deuxième fois en trois ans. Il tue le temps sur la place publique au centre de la ville, mais il rêve de Brooklyn.
Pour retourner aux États-Unis, Réginald aura besoin d’argent. Il peut travailler légalement au Mexique, mais comme bien des migrants, il dit avoir des difficultés à trouver un emploi. Beaucoup de postes ne seraient pas offerts aux étrangers.
Gisela Centeno accuse les politiciens mexicains d’avoir créé une mauvaise image des immigrants, semblable à celle véhiculée par l'administration Trump. Ils les voient comme l’autre, celui qui envahit, qui vient prendre des emplois, explique-t-elle.
La militante entend beaucoup de frustration et de désespoir chez les migrants.
Début octobre, un millier d’entre eux ont quitté la ville à pied. Une caravane destinée à attirer l’attention des autorités, à accélérer les démarches de régularisation.
Le Mexique tenterait d’épuiser ceux qui ne peuvent se payer les services d’un passeur afin qu’ils rentrent dans leur pays d’origine, croit Mme Centeno.

Rester au Mexique?
Le Mexique semble encore s’ajuster à ce nouveau rôle de pays destination plutôt que de pays de transit pour les migrants.
Le budget de la Commission d’aide aux réfugiés demeure modeste. Difficile de traiter efficacement les demandes d’asiles déposées en nombre record dans les dernières années.
Et contrairement au Canada, il existe peu de programmes pour aider tous ces étrangers à s’installer au Mexique. Même si plus de 1 million d’emplois dans des secteurs clés demeurent vacants.

Il reste encore du travail à faire, mais je pense qu'on avance, observe Pierre-Marc René. C’est de l’ONU que dépend, par exemple, le principal programme d’intégration des migrants dans l’économie mexicaine.
En neuf ans, le Programme d'intégration local a mis en relation quelque 50 000 migrants avec des employeurs mexicains. Et ses capacités sont menacées par les compressions qui planent sur les organismes de l’ONU.
La tâche est compliquée par le fait qu’une bonne partie des migrants qui veulent s’établir au Mexique n’ont pas de compétences particulières à offrir, sinon leur volonté de travailler fort.

C’est le cas de Moïse, qui vient d’arriver au Mexique. À 39 ans, les États-Unis de Trump ne l’intéressent pas. Tout ce qu’il veut, c’est gagner sa vie et dormir en sécurité.
Pour survivre, il vend des bouteilles d’eau à un prix dérisoire dans le centre-ville de Tapachula. Malgré la chaleur de l’après-midi, le migrant trouve peu de preneurs.
Puis un orage chasse les clients. Ses espoirs de minces profits s’évaporent soudainement. Il ne lui reste plus qu’à attendre le retour du beau temps.
