Agence France-Presse
Les Chiliens votent dimanche pour élire leur président, et l'extrême droite est donnée favorite pour la première fois depuis la fin de la dictature d'Augusto Pinochet, il y a 35 ans.
Crédité d'une large avance par les sondages, l'ultraconservateur José Antonio Kast, avocat de 59 ans, affronte Jeannette Jara, une communiste modérée représentant une vaste coalition de gauche.
M. Kast, catholique pratiquant et père de neuf enfants, a fait campagne sur la lutte contre la criminalité dans un Chili choqué par l'arrivée de gangs violents. Il promet aussi d'expulser les près de 340 000 migrants en situation irrégulière, pour la plupart des Vénézuéliens ayant fui la crise dans leur pays.
En face, Jeannette Jara, 51 ans, ex-ministre du Travail du président sortant Gabriel Boric, promet l'augmentation du salaire minimum et la défense des retraites.
Au premier tour, le 16 novembre, les deux candidats ont obtenu chacun un quart des suffrages, la gauche ayant une légère avance. Mais l'ensemble des candidats de droite ont totalisé 70 %.
Plus de 15,6 millions d'électeurs sont appelés aux urnes pour ce scrutin obligatoire. Les bureaux de vote ouvriront à 8 h (heure locale) et fermeront à 18 h.
Mesures extrêmes
Isidora Soto, designer de 27 ans, votera pour Mme Jara en faveur du bien commun de la société chilienne, et pas seulement celui de quelques-uns.
Pour Ursula Villalobos, qui s'apprête au contraire à voter pour M. Kast, ce qui compte, davantage que les prestations sociales, c'est le travail, la sécurité. Que les gens puissent sortir de chez eux sans avoir peur.
Il faut prendre des mesures un peu extrêmes au début pour ensuite avoir un pays tranquille, affirme à l'AFP cette femme au foyer de 44 ans.
La criminalité et l'immigration sont en tête des préoccupations des Chiliens, devant les difficultés économiques liées à une croissance atone.
Le pays s'effondre, répète à l'envi José Antonio Kast, qui tente pour la troisième fois d'accéder à la présidence, sous la bannière du Parti républicain qu'il a fondé en 2019.
Lors de ses réunions, derrière une vitre pare-balles dans l'un des pays pourtant les plus sûrs d'Amérique latine, il présente le Chili comme en proie au chaos, attisant l'angoisse des électeurs.
Selon des experts, la peur a grandi bien plus vite que la criminalité.
Si le taux d'homicides a doublé au cours de la dernière décennie, il est en recul ces dernières années et est bien inférieur à la moyenne régionale. Les délits violents, comme les enlèvements et l'extorsion, ont cependant augmenté.
M. Kast, opposé à l'avortement même en cas de viol ainsi qu'au mariage homosexuel, a mis en sourdine pendant cette campagne ses positions conservatrices.
Frustrations
Le discours sécuritaire de la droite et de l'extrême droite au Chili trouve d'autant plus d'écho que le gouvernement sortant a généré des frustrations.
La cote de popularité du président Boric, ancien dirigeant étudiant arrivé au pouvoir après les manifestations massives de 2019 pour davantage d'égalité sociale, tourne autour de 30 %.
L'échec de son gouvernement à réformer la Constitution de Pinochet a engendré une lassitude vis-à-vis du progressisme, souligne Carolina Urrego-Sandoval, chercheuse de l'Université des Andes de Bogota. Ce que les gens veulent, c'est un changement, dit-elle.
La révolte sociale, marquée par des violences, a été très traumatisante et, conjuguée à la pandémie, elle a produit un mouvement vers le conservatisme, ajoute la politologue Claudia Heiss.
Les cinq millions d'électeurs qui, traditionnellement, s'abstenaient avant que le vote ne redevienne obligatoire il y a quelques années ont un penchant très marqué à droite et à l'extrême droite, relève-t-elle également.
Cecilia Mora, une retraitée de 71 ans, votera pour Jara afin de préserver les acquis sociaux. Kast lui apparaît comme un Pinochet sans uniforme, dans un pays où la dictature a fait 3200 morts et disparus entre 1973 et 1990.
M. Kast a soutenu la dictature militaire et soutenu que, si Pinochet était en vie, il voterait pour lui.
Des enquêtes menées par des médias en 2021 ont révélé que son père, né en Allemagne, avait été membre du parti d'Adolf Hitler. José Antonio Kast affirme que son père a été enrôlé de force dans l'armée allemande et nie qu'il ait été un partisan du mouvement nazi.
Selon Robert Funk, professeur de sciences politiques à l'Université du Chili, les électeurs qui voteront pour Kast le feront malgré, et non à cause, de son soutien à Pinochet.