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Madagascar : la révolte rêvée de la génération Z

Auteur: user avatar admin Source: Radio Canada
Madagascar : la révolte rêvée de la génération Z

Rencontrer de jeunes Malgaches, c’est comme avaler une grande bouffée d’air frais. Ils sont gonflés d’espoir depuis qu’ils ont réussi à faire tomber le gouvernement jugé corrompu d’Andry Rajoelina, le 14 octobre dernier. Et pourtant, aucun des changements qu’ils réclament ne pointe à l’horizon. Portrait d’une révolution fragile menée par des jeunes de la génération Z.

Un texte de Sophie Langlois
Photographies : Frédéric Lacelle

La vie des jeunes en ce moment est complètement ruinée, tout à fait ruinée, nous dit Ismaël Razafiniatova, 20 ans, rencontré à la sortie de la messe, dans une banlieue de la capitale.

Il est devenu entrepreneur en marketing numérique après avoir interrompu ses études à l’Université d’Antananarivo, où les programmes sont désuets. L’université est en décrépitude, dit-il, notre pays souffre en ce moment d’une très grande pauvreté, il faut tout renouveler, tout, tout.

Comme des dizaines de milliers d’autres jeunes, Ismaël a participé à la révolte populaire lancée le 25 septembre par des étudiants, exaspérés par les coupures d’eau et d’électricité à répétition.

Ismaël Razafiniatova, 20 ans.
Ismaël Razafiniatova, 20 ans, devant l'église catholique Notre-Dame-de-l'Assomption à Imerinafovony. Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Les trois semaines de contestation ont été marquées par une répression policière violente qui a fait au moins 22 morts et des centaines de blessés, selon l’ONU.

On était prêt à tout, même à mourir, parce que c’était une très longue période de misère, affirme Tia Fandresena, rencontré dans une classe où des militants suivent une formation. Les armes et la violence ne nous ont pas affaiblis, ça nous a renforcés. Notre ami a été blessé, c’est évident qu’on va être fâchés, ajoute l’étudiant en sociologie et en science politique.

La révolte a pris fin quand le CAPSAT – une unité d’élite de l’armée – a refusé de tirer sur la foule et a pris le pouvoir, le 14 octobre. Le chef de cette unité, le colonel Michaël Randrianirina, s’est imposé à la présidence en promettant une refonte de l’État et des élections d’ici deux ans.

Depuis ce jour, les jeunes de la génération Z tentent de pénétrer les sphères du pouvoir. Tia a cofondé un groupe militant sur le campus de l’Université d’Antananarivo avec Alisoa Rabarijohn, une étudiante en 2e année de médecine. Elle se dit fière de faire partie de la Gen Z, qui prendra un jour la relève pour développer Madagascar, la plus grande île de l’océan Indien, au large du Mozambique.

Alisoa Rabarijohn est étudiante en 2e année de médecine.
Alisoa Rabarijohn est étudiante en 2e année de médecine. Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

C’est pas juste ici que ça se passe, dit Alisoa, ce sont tous les jeunes, au Népal et ailleurs, qui se sont réveillés vis-à-vis de la situation politique dans leur pays. On est fiers de ce qu’on a pu faire et on est prêts à relever notre pays.

Sarobidy Fanantenantsoa, qui est en 6e année de médecine, est aussi très fière de ce que les jeunes ont accompli dans la rue. Mais elle craint la démobilisation. Quand le CAPSAT nous a appuyés, plusieurs ont crié victoire en disant : on a atteint notre but. Nous, on a dit : non, ce n’est pas terminé, il faut aller au bout de nos revendications. L’objectif, ce n'est pas le renversement du président, mais la réforme totale de toutes les institutions, qui sont toutes corrompues. La corruption, c’est la principale source de la pauvreté, des problèmes du pays. Et il faut aussi préparer les prochaines élections, les listes électorales, tout ça.

Sarobidy est boursière, mais elle a tout de même plusieurs petits boulots pour y arriver. Elle travaille aussi à l’hôpital, passe plusieurs heures chaque jour dans les transports en commun et doit souvent étudier à la lueur d'une bougie, en raison des coupures de courant.

On a tout sacrifié, dit la résidente de 24 ans. Ma famille est pauvre, nous n'avons pas les moyens de payer les études et tout. Des fois, je travaille tous les jours, tous les jours, tous les jours, mais je reçois moins de 100 $ par mois, sans assurance maladie. Alors que la vie ici, ça coûte très cher.

Sarobidy Fanantenantsoa est en 6e année de médecine.
Sarobidy Fanantenantsoa est en 6e année de médecine. Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle

Malgré une fatigue chronique, la future spécialiste en médecine interne, qui étudie aussi en science politique depuis septembre, est totalement investie dans ce combat militant. Membre du Collectif Gen Z, elle passe de longues heures en rencontres avec d’autres jeunes et avec les nouveaux dirigeants du pays.

Le gouvernement de la refondation fait des actions, dit-elle, mais on ne peut pas encore dire qu’il est efficace. Ils nous écoutent, mais on ne sait pas si on est entendus.

Ces jeunes ont réussi à s’imposer dans des comités qui préparent certaines réformes, mais l’inertie d’un État corrompu est titanesque, constatent-ils. Des semaines de négociations avec le ministère de la Santé viennent d’aboutir à un premier protocole.

Les étudiants en médecine font plier le gouvernement, titre un quotidien malgache. L’article est accompagné d’une photo de Sarobidy avec la nouvelle ministre de la Santé, qui s’est engagée à se battre pour que la part des dépenses de santé soit augmentée de 5 % à 15 % du budget de l’État.

Le nouveau président de Madagascar, Michael Randrianirina.
Le nouveau président de Madagascar, Michael Randrianirina, pose pour une photo après sa cérémonie d'investiture à Antananarivo le 17 octobre 2025. Photo : Getty Images / AFP / RIJASOLO

Depuis que Madagascar a obtenu son indépendance de la France en 1960, le pays a connu presque une révolte populaire par décennie. Elles sont presque toujours lancées par des mouvements étudiants, souvent issus de la faculté de médecine. C’est encore le cas en 2025.

Les Gen Z sont de jeunes urbains; les jeunes ruraux ne sont pas dans le mouvement, affirme l’historien et politologue Denis Alexandre Lahiniriko, qui enseigne à l’Université d’Antananarivo. Les coupures d’eau et d’électricité ne concernent pas les plus pauvres, qui n'ont jamais accès ni à l'eau ni à l'électricité.

En effet, 70 % des Malgaches n’ont pas accès à l’électricité. À la campagne, c’est 89 % d’entre eux qui n’ont pas de courant.

Le professeur ajoute que pour se mobiliser avec les réseaux sociaux, il faut avoir accès à l’Internet. Or, à Madagascar, 20 % seulement des gens y ont accès.

Les contours de cette révolte 2025, qui ressemble aux précédentes, fait dire à l’historien que l’actuel gouvernement de transition n’est pas en rupture par rapport au régime d’Andry Rajoelina, renversé il y a un mois.

Denis Alexandre Lahiniriko, historien et politologue, enseigne à l’université.
Denis Alexandre Lahiniriko, historien et politologue, enseigne à l’université. Photo : Radio-Canada

Dans le système politique malgache, le pouvoir a toujours été dominé par une oligarchie. Ce sont quasiment toujours les mêmes groupes sociaux qui monopolisent le pouvoir. Il y a une petite minorité qui détient le pouvoir au détriment de la majorité. Il n'y a pas vraiment une rupture actuellement. On est plus dans la continuité, avec de nouveaux acteurs.

Des jeunes qui ont manifesté pendant trois semaines, au risque de leur vie, jugent aussi que le nouveau régime ressemble trop au précédent. Au point de menacer de retourner dans les rues.

La génération Z, comme les précédentes, n’est pas monolithique et ne parle pas d’une seule voix. Plusieurs groupes ont émergé du mouvement. Si certains veulent donner la chance au coureur, d’autres déchantent déjà.

Le groupe Gen Z Madagascar dénonce le mode de gouvernance du nouveau régime, qu’il qualifie de mascarade de refondation. Il réclame une conférence nationale qui impliquerait concrètement les jeunes dans la réforme en profondeur de l’État.

Sarobidy, Tia et Alisoa, membres du Collectif Gen Z, croient, eux, que le gouvernement actuel a besoin de temps et de leur aide pour engager les changements radicaux réclamés par une majorité de Malgaches.

Scène de rue dans la capitale Antananarivo.
Scène de rue dans la capitale Antananarivo. Photo : Radio-Canada

Ce que nous voulons, dit Sarobidy, c’est surtout un président vraiment élu démocratiquement, une élection participative, inclusive, qui nous donnera des élus légitimes qui vont respecter nos droits. Moi, je veux construire ma famille ici, je suis faite pour Madagascar, je ne veux pas aller vivre à l’étranger, comme beaucoup de médecins ont fait.

Nous voulons une décentralisation du pouvoir, qui est concentré au sein des oligarques, dit Tia. On doit donner plus de responsabilités aux régions et s’assurer que la classe politique se renouvelle.

Le futur sociologue veut devenir politicien. Je souhaite, dit-il, apporter mes compétences pour sauver mon pays.

Alisoa, elle, rêve de pouvoir un jour sauver des vies dans un hôpital qui aura les moyens technologiques et pharmaceutiques de soigner décemment les malades. En ce moment, trop de Malgaches meurent, selon elle, par manque de traitements adéquats, de médicaments et d’équipement.

Et la question des coupures d’eau et d’électricité, aux origines de la révolte, demeure entière. Le colonel Randrianirina a récemment admis que l’enjeu ne serait probablement pas réglé d’ici la fin de la transition, dans deux ans.

Pour l’instant, les racines de la colère demeurent intactes.

 Des étudiants scandent des slogans antigouvernementaux alors qu'ils se rassemblent pour une manifestation de la société civile exigeant la démission du président Andry Rajoelina à Antananarivo, le 14 octobre 2025
Des étudiants scandent des slogans antigouvernementaux lors d'une manifestation de la société civile exigeant la démission du président Andry Rajoelina à Antananarivo, le 14 octobre 2025 (archives). Photo : afp via getty images / LUIS TATO

Une révolte chauffée à la suie et au manioc

Le Collectif Gen Zen est une association de groupes de jeunes aux intérêts variés, dont le but premier est de rester mobilisés dans leur lutte pour provoquer des changements politiques.

Ils ont aussi en commun de chercher des solutions pour améliorer le quotidien des Malgaches.

Ils organisent des formations pratiques, comme celle-ci, où des citoyens apprennent à faire du charbon écologique essentiellement avec de la suie de charbon de bois et de la poudre de manioc.

Ils veulent ainsi aider les Malgaches à moins utiliser le bois de chauffe et le charbon de bois pour cuisiner, ce qui est encore la réalité pour 70 % des Malgaches, qui n’ont toujours pas accès à l’électricité.

Le charbon écologique utilisé à grande échelle réduirait aussi la déforestation, qui est un immense problème à Madagascar. Plusieurs espèces endémiques rares, comme les lémuriens, sont en voie d'extinction en raison des assauts sur leurs habitats.

L'ABC du charbon écologique, tel que démontré par des membres du collectif Gen Zen.
L'ABC du charbon écologique, tel que démontré par des membres du collectif Gen Zen. Photo : Radio-Canada / Frédéric Lacelle
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