La Finlande, peuplée de 5 millions d’habitants, attire les entreprises de haute technologie qui ont décidé d’y installer plusieurs centres de données. Des systèmes très énergivores, mais qui produisent aussi de la chaleur servant à chauffer une partie de la population.
KIRKKONUMMI, Finlande - Sur le gigantesque chantier à Kirkkonummi, à une demi-heure de route du centre-ville d’Helsinki, environ 700 personnes s'affairent à construire un de ces énormes centres de données sur 21 hectares, afin que Microsoft y abrite ses serveurs qui servent à faire circuler les données et autres fonctions infonuagiques.
Un centre qui va consommer énormément d’électricité, notamment pour refroidir les serveurs qui chauffent constamment. Mais Microsoft a un atout dans sa poche, ou plutôt dans ses tuyaux.
Semaine après semaine, les contremaîtres de la compagnie d’électricité Fortum, partenaire du géant informatique, dévoilent petit à petit le système de récupération de la chaleur qui va permettre d’alimenter des milliers de résidences en chauffage.
Selon Eoin Doherty, vice-président chargé de l'innovation des opérations infonuagiques chez Microsoft, énormément d’énergie est consommée pour le fonctionnement des centres de données, mais celle qui est utilisée pour créer des bits et des octets produit une chaleur qui peut-être bénéfique.
Ce que nous faisons, c'est tout simplement récupérer la chaleur résiduelle sous forme d'air chaud pour la faire passer dans un échangeur thermique, puis transférer cette chaleur dans un liquide et acheminer celui-ci par des tuyaux jusqu'à Fortum, qui le réchauffe à l'aide de pompes à chaleur électriques.
Microsoft fournit ainsi à Fortum un liquide à environ 30 °C, qu'ils réchauffent ensuite jusqu'à 50 °C ou 60 °C pour alimenter le réseau de chauffage urbain. C'est donc cette eau qui alimente les ménages et les bâtiments pour chauffer les pièces.
Grâce à ce système, 250 000 personnes vont pouvoir en profiter. C’est 40 % de la population de l’agglomération d'Espoo, la deuxième ville en importance en Finlande après Helsinki.
Selon Microsoft, il s'agit du plus grand projet de récupération de chaleur résiduelle au monde impliquant un centre de données.
Pensez-y, si nous n'utilisons pas cette chaleur, elle serait simplement rejetée dans l'atmosphère, explique Doherty, qui parle d’un mariage parfait avec la compagnie d’électricité Fortum.
Cela leur permet également d'abandonner la partie de leur activité liée au charbon, dont tout le monde connaît les enjeux en matière de changement climatique. C'est une grande victoire pour les deux entreprises, croit le vice-président chargé de l'innovation des opérations infonuagiques chez Microsoft.
L’entreprise d’électricité Fortum produit déjà 46 térawattheures par an d’une énergie qui vient à 99 % du nucléaire et de l’hydro-électricité, sans recours aux énergies fossiles.
Urs Pennanen, vice-président directeur de la clientèle d'entreprise chez Fortum, estime qu’il est tout à fait remarquable qu'en dix ans son entreprise soit passée d'une production d'électricité largement basée sur le charbon à cette situation très propre dans les pays nordiques en général. Je pense donc qu'en moyenne, 3 % à 4 % de l'électricité est produite à partir de combustibles fossiles dans les pays nordiques.
Ella Broman, qui habite dans un appartement d’un quartier paisible d’Helsinki, près du bord de l’eau, est très consciente de son empreinte carbone, surtout dans un pays nordique comme le sien.
Avec ma famille, nous aimons aller dans la nature, mais si nous ne faisons rien pour l'environnement, cela ne sera plus aussi facile ni aussi agréable à l'avenir, donc nous devons agir.
Et agir, pour cette ingénieure qui travaille depuis peu pour Helen, un fournisseur d’électricité, ça veut dire utiliser des tuyaux enfouis à quelques mètres dans le sol finlandais pour se chauffer. L’électricité qui lui permet de faire bouillir l’eau de son thé ou encore de se sécher les cheveux provient entre autres des centres de données à quelques dizaines de kilomètres de chez elle.
Évidemment, l’origine de son électricité n’est pas visible sur sa facture, mais elle a vu, au cours des deux dernières années, les coûts d’électricité baisser grâce, dit-elle à une énergie propre, qui en plus est récupérée des centres de données.
Elina Wanne, responsable du développement à la Ville d’Espoo, qui a permis l’installation des centres de données de Microsoft, n’est pas peu fière du mégaprojet de Microsoft, qui est toute une occasion pour la région.
Mais ces gigantesques centres de données qui vont ronronner ici dans la région, en retrait des quartiers résidentiels, pourraient-ils mettre trop de pression sur le réseau électrique à cause de leur consommation gargantuesque?
Il est bon de noter que ces centres de données sont en quelque sorte des consommateurs d'énergie constants, constate-t-elle. Des consommateurs flexibles seraient plus avantageux pour nous à l'heure actuelle.
Elle surveille aussi les restrictions actuelles gouvernementales, comme la suspension de l’octroi de certains permis de grande consommation d’énergie qui pourraient empêcher l’établissement d’autres entreprises. Si notre réseau n'accepte pas de nouvelles entreprises pour le moment, ce n'est pas très positif. Même si elle insiste sur le fait que ces mégaprojets permettent à la région de bien se positionner dans ce marché de la haute technologie.
Elle note aussi la pénurie de terrains due à la superficie utilisée pour les centres de données. La grande question est de savoir si cette superficie pourrait être utilisée à d'autres fins pour créer plus d'emplois ou générer des recettes fiscales.
Urs Pennanen de chez Fortum tient à rassurer la ville d’Espoo et les Finlandais en général. Il y a actuellement une production excédentaire d'électricité, explique le vice-président de Fortum. Tout ce que nous produisons mais ne consommons pas dans les pays nordiques est ensuite utilisé en Europe centrale. Donc, en gros, nous exportons pour l’instant.
Même son de cloche chez Microsoft, de la part du vice-président des opérations infonuagiques et de l’innovation, Eoin Doherty, qui vante les mérites de son futur centre de données qui va générer cette énergie propre. Les centres de données font désormais partie intégrante de notre société, que cela nous plaise ou non, je pense donc qu'il est de notre devoir à tous d'utiliser cette énergie de manière efficace.
La récupération de la chaleur émise par les centres de données, Ari Kurvi connaît bien. Dès 2009, quand il travaillait chez Hewlett Packard, il avait instauré un premier système du genre. Au sein de la société de consultants Hyperco, il participe au développement de centres de données pour Microsoft, Google et Amazon.
Selon lui, ces clients sont là pour continuer d’investir dans ce genre de technologie en Finlande. C'est un choix que nous avons déjà fait, il n'y a donc pas d'alternative pour le moment, car nous ne pouvons pas revenir en arrière et dire nous ne voulons pas utiliser de téléphone portable, WhatsApp et Facebook.
La tangente de récupération de production de chaleur est là pour longtemps et sera bénéfique, selon lui, pour l’économie et la protection de l'environnement. Il faut avoir une consommation pour pouvoir récupérer la chaleur, mais cela génère également de nouvelles innovations et de nouvelles façons de considérer la chaleur comme une source d'énergie.
Il prend l’exemple des serres, en particulier dans cette région. Si vous voulez avoir des légumes verts ici, vous devez les cultiver ici, et donc, il faut des serres, et au lieu de les importer d'Europe du Sud, par avion ou par bateau, vous pouvez le faire ici grâce à la chaleur excédentaire.
Jusqu’à 1500 travailleurs seront mobilisés pour la construction du centre de données et pour le système de récupération de chaleur. Une fois la construction terminée, quelques dizaines d’employés s’occuperont de la surveillance et de l’entretien des installations.
Microsoft n’a pas voulu préciser le coût facturé à Fortum pour la chaleur récupérée pour les consommateurs, mais estime que cela est très compétitif.
Eoin Doherty de Microsoft dit être conscient des défis énergétiques que son entreprise pose. Nous voulons atteindre la neutralité carbone d'ici 2030, nous voulons atteindre le zéro déchet d'ici 2030, et nous voulons également devenir des utilisateurs d'eau positifs d'ici 2030. Cela fait donc partie de notre stratégie d'entreprise.
Depuis son appartement d’Helsinki, Ella Broman est plus que jamais enthousiaste pour son pays et sa production d’énergie propre.
Pourquoi ne pas investir dans un pays où tout est réuni pour mener à bien une activité commerciale et où les centres de données ont besoin d'être refroidis? Il est donc logique de les implanter ici, dans le nord.
Les centres de données pourraient consommer environ 4,4 % de l'électricité mondiale d'ici 2035. S'ils constituaient un pays, ils se classeraient au quatrième rang en termes de consommation d'électricité, juste derrière la Chine, les États-Unis et l'Inde. Et leur refroidissement représente déjà près d'un tiers de l’énergie allouée aux centres de données, selon le Forum économique mondial.
La tendance n’est pas près de fléchir, alors que nos besoins de technologie, eux, semblent sans limites.