Mercredi, la Cour internationale de justice a rendu son avis consultatif sur les obligations des États en matière de lutte contre les changements climatiques. Selon le texte, bien accueilli par les écologistes, les pays sont tenus à la « diligence ». Sinon, ils s’exposent à des conséquences. Explications en cinq questions.
Quel était le mandat de la Cour internationale de justice (CIJ) ?
En 2023, l’Organisation des Nations unies (ONU) avait demandé à la CIJ quelles sont, en droit international, « les obligations qui incombent aux États » en ce qui a trait à la protection du climat. Elle demandait aussi quelles sont « les conséquences juridiques » pour les fautifs en regard de ces obligations.
« Il pourrait bien s’agir de l’affaire juridique la plus importante de l’histoire de l’humanité », déclarait l’an dernier Ralph Regenvanu, le représentant de Vanuatu — un petit pays menacé par la montée des eaux, qui avait lancé l’initiative auprès de l’ONU — aux audiences de la « cour mondiale », à La Haye.
Selon la Cour, quelles sont les obligations des États ?
Le nouvel avis de la CIJ n’invente pas de nouveau droit international, mais juxtapose plusieurs cadres existants : Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, Accord de Paris, droit de la mer, droits de la personne, etc. « Ça donne une photographie de l’état actuel du droit international sur les changements climatiques », explique Géraud de Lassus St-Geniès, un professeur de droit des changements climatiques à l’Université Laval.
En brossant ce portrait, la Cour montre « que ce n’est pas simplement de la politique », poursuit M. de Lassus. « Il y a des règles, et si vous ne les respectez pas, il y aura des conséquences, dit le chercheur. Et ça, ça n’avait jamais été dit clairement. Dans les traités internationaux, on contourne souvent le problème de la responsabilité en mettant en place des mécanismes de promotion de la conformité. »
L’avis explique que les États n’ont pas simplement l’obligation de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), mais plutôt d’exercer la « diligence requise » pour y arriver. Les juges de la CIJ ajoutent qu’en vertu du « principe de prévention », tous les États doivent faire des efforts à la hauteur de la menace. On comprend entre les lignes que même les États-Unis, qui boudent l’Accord de Paris, sont visés.
En examinant l’ensemble du droit international, la CIJ s’est aussi penchée sur les droits de la personne. Elle estime qu’un « environnement propre, sain et durable » est une « condition préalable » à la jouissance de nombreux droits de la personne, dont le droit à la vie. Il y a là une « innovation », dit M. de Lassus St-Geniès. En clair, la Cour affirme qu’on ne peut pas respecter les droits de la personne dans un environnement pollué.
Comment comprendre l’avis en contexte canadien ?
Dans son mémoire, déposé l’automne dernier, le Canada arguait devant la CIJ que les divers leviers du droit international ne devaient pas imposer des obligations juridiques « contraires » à celles qui sont « soigneusement négociées » dans les conférences climatiques. D’autres pays pollueurs voulaient aussi éviter que l’interprétation de la CIJ crée de nouvelles obligations.
Avec son langage clair sur les « faits illicites » que commettent les États négligents, la CIJ met les points sur les i. Par ailleurs, les magistrats écrivent : « Le fait pour un État de ne pas prendre les mesures appropriées pour protéger le système climatique contre les émissions de GES — notamment en produisant ou en utilisant des combustibles fossiles, ou en octroyant des permis d’exploration ou des subventions pour les combustibles fossiles — peut constituer un fait internationalement illicite attribuable à cet État. »
Au Canada, le gouvernement se montre favorable aux projets de pétrole « carboneutre », rejetant du revers de la main les émissions générées lors de la combustion. L’avis de la CIJ se montre-t-il critique d’une telle approche ? « Absolument », répond M. de Lassus St-Geniès. Le professeur se demande d’ailleurs si la Loi sur l’unité de l’économie canadienne du gouvernement Carney — qui vise à accélérer les grands projets, dont les pipelines — contrevient à la nouvelle interprétation de la Cour internationale.
À quelles conséquences juridiques s’expose un État délinquant ?
Les juges onusiens écrivent noir sur blanc que les États qui posent des gestes « illicites » en matière de climat s’exposent à des conséquences juridiques. Ils doivent cesser la faute, puis la réparer. Une indemnisation pourrait devoir être versée aux « États lésés ». Les torts et les châtiments devront être jugés « au cas par cas ».
Cette mécanique n’est pas nouvelle, mais la Cour clarifie un élément qui, historiquement, compliquait les poursuites : la causalité des dégâts climatiques. En effet, l’avis consultatif précise que, bien qu’il soit difficile de prouver une relation de causalité en matière de climat — comment montrer que les émissions de CO2 en Chine inondent les îles Tuvalu ? —, cela « n’est pas impossible ». « La causalité peut être appréciée de façon un peu plus souple », fait remarquer M. de Lassus St-Geniès.
Quelles suites ?
L’avis consultatif de la CIJ pourra donner de l’eau au moulin des poursuites climatiques infranationales, débattues dans les tribunaux du monde entier. Sur la scène internationale, toutefois, M. de Lassus ne s’attend pas à ce que le nouveau texte débouche de sitôt sur des poursuites.
« Les États insulaires ont obtenu une avancée importante avec l’établissement du Fonds pour les pertes et les préjudices, en 2022. Je crois que l’objectif des États qui sont à l’origine de la démarche à la CIJ, dont Vanuatu, n’était pas forcément de développer un contentieux interétatique, mais plutôt de clarifier les obligations des États afin d’avoir des arguments supplémentaires dans le cadre des négociations internationales », dit-il.
Pour venir à bout des changements climatiques, même les juges de la CIJ estiment que le droit international ne sera qu’un outil parmi d’autres. Ils écrivent : « La solution complète à ce problème, qui nous accable, mais que nous avons créé nous-mêmes, requiert la contribution de l’ensemble des domaines de connaissances humaines, que ce soit le droit, la science, l’économie ou tout autre. »
« Surtout, ajoutent-ils, une solution durable et satisfaisante requiert la volonté et la sagesse humaines — à l’échelle des individus, de la société et des politiques — pour modifier nos habitudes, notre confort et notre mode de vie actuels et garantir ainsi un avenir à nous-mêmes et à ceux qui nous suivront. »
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