N’en déplaise aux amateurs de musique, les prix que facture Taylor Swift pour assister à ses concerts s’inscrivent davantage dans la tendance que dans l’exception. Tournée après tournée, des mélomanes se désolent de voir le coût des billets de concert de leurs artistes préférés grimper sans cesse.
Les prix des billets de concert ont augmenté de manière extraordinaire, bien plus rapidement que l’indice des prix à la consommation, observe Rob Bowman, musicologue qui se spécialise dans la musique populaire.
Selon les données de la firme Pollstar, le prix moyen d’un billet pour assister à un concert de l’une des 100 tournées les plus populaires aux États-Unis a quintuplé depuis 1995, pour atteindre 135,80 $US en 2023.
Lors de la même période, l’indice des prix à la consommation a progressé à un rythme deux fois et demie plus lent.
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En octobre 1851, la célèbre cantatrice suédoise Jenny Lind a donné trois concerts à Toronto.
Sa venue avait fait grand bruit dans la ville qui ne comptait alors qu’environ 30 000 habitants. Les policiers auraient même été appelés en renfort pour contrôler la foule attroupée devant la boutique de musique où étaient vendus les billets.
C’était un phénomène sans pareil.
Une citation deRob Bowman, musicologue spécialisé en musique populaire
Les billets pour ses concerts coûtaient 3 ou 4 $ en fonction des places, une petite fortune à l’époque.
À combien d’argent cette somme équivaut-elle aujourd’hui? C'est un peu compliqué. Il y a plusieurs avenues possibles, répond Steve Ambler, professeur émérite au Département des sciences économiques de l’Université du Québec à Montréal.
La première approche est d’ajuster le prix à l’inflation.
Si aujourd’hui l’indice des prix à la consommation (IPC) offre une mesure rigoureuse des variations de prix des biens et services, l’agence qui calcule l’indice, Statistique Canada, n'existait pas en 1851– ni le Canada d’ailleurs.
Un enquêteur envoyé des États-Unis pour évaluer le coût de la vie au nord de la frontière a toutefois estimé en 1870 qu’une douzaine d'œufs en Ontario coûtait 18 cents. Selon les plus récentes données de Statistique Canada, une douzaine d'œufs coûte aujourd’hui 4,85 $ en moyenne dans une épicerie ontarienne.
En appliquant ce taux d’inflation au prix des billets de concert de Jenny Lind, ceux-ci valaient l’équivalent d’une centaine de dollars aujourd’hui.
Mais ça ne tient pas compte de l'amélioration du niveau de vie des habitants, note M. Ambler. Les salaires ont en effet augmenté beaucoup plus rapidement que l’inflation dans les dernières décennies.
Selon les estimations du même enquêteur américain, un peintre en bâtiment ontarien gagnait en moyenne 1,70 $ par jour en 1870. Le salaire médian de la profession en Ontario est aujourd’hui de 23 $ l’heure, ou 184 $ par jour, selon les plus récents chiffres du gouvernement canadien.
En 1851, un peintre aurait donc dû débourser l’équivalent d’au moins deux jours de salaire pour assister au concert de Jenny Lind.
Ces mêmes deux jours de labeur auraient permis à un peintre d’aujourd’hui de s’offrir une place au milieu des gradins du Centre Rogers pour assister à un concert de Taylor Swift, si celui-ci avait réussi à obtenir un billet lors de la vente initiale et ainsi éviter les coûts faramineux des billets de revente.
Le peintre moderne aurait aussi fait cette dépense en toute connaissance de cause, contrairement à son homologue du 19e siècle.
L’enregistrement sonore n’étant pas encore inventé, les gens qui ont délié les cordons de leur bourse pour assister aux concerts de Jenny Lind en 1851 n'avaient aucune idée du son de sa voix, souligne M. Bowman.
Elvis et les Beatles pour quelques dollars
Un siècle plus tard, en 1957, Elvis Presley a débarqué à Toronto pour l’un de ses trois concerts officiels à l’extérieur des États-Unis.
Les billets étaient moins chers que ceux de Jenny Lind : entre 1,25 $ et 3,50 $.
Selon Statistique Canada, le travailleur moyen au pays dans les années 1950 gagnait 1863 $ par année, ou environ 7 $ par jour.
Un salarié typique aurait ainsi pu s’offrir en un peu plus d’une heure de travail un billet pour aller voir Elvis.
Sept ans plus tard, en 1964, ce même salarié aurait eu à investir l’équivalent de trois heures de travail pour se procurer une place à l’un des concerts des Beatles dans la Ville Reine.
Les billets, au coût d’environ 5 $, ne permettaient toutefois d’entendre le célèbre groupe britannique que pour une quarantaine de minutes dans un amphithéâtre où l’on entendait à peine la musique.
Si ces prix peuvent sembler dérisoires aujourd’hui, les promoteurs de ces concerts n’avaient aucune intention de faire de rabais aux spectateurs, assure M. Bowman.
Pratiquement aucun gestionnaire de tournée [dans l’histoire de la musique] ne s’est dit : " Ne facturons pas trop cher pour que tout le monde ait accès aux concerts. ", pense le musicologue.
Ces prix n’étaient que le produit d’une industrie complètement différente à l’époque, observe Danilo Dantas, professeur titulaire au Département de marketing de HEC Montréal et membre de l’Observatoire interdisciplinaire de création et de recherche en musique.
L’envergure des spectacles était beaucoup plus limitée et leur fonction première était de vendre des albums. À mesure que les revenus tirés de la vente de disques ont fondu, les concerts sont devenus plus sophistiqués et leurs prix ont explosé.
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