Corée du Nord

Qui est Kim Ju-ae, la mystérieuse fille de Kim Jong-un qui a effectué son premier voyage à l’étranger aux côtés de son père

Auteur: Victor Mérat Source: Le Figaro
Septembre 3, 2025 at 09:18

Le dictateur nord-coréen a profité de son déplacement à Pékin pour mettre en scène sa fille sur la scène internationale. Une première qui a aussitôt ravivé les spéculations sur le choix de son successeur.


Tout sourire derrière son père, Kim Ju-ae est une nouvelle fois discrètement apparue devant les caméras du monde entier mardi 2 septembre en sortant du train vert olive ultra-sécurisé qui a transporté le dictateur nord-coréen en Chine depuis Pyongyang. Accueilli en grande pompe à la gare de Pékin, le leader a ensuite assisté à une parade militaire géante aux côtés notamment des présidents chinois Xi Jinping et russe Vladimir Poutine. À l’occasion de sa première visite à l’étranger depuis 2023, Kim Jong-un a profité de ce déplacement pour mettre en scène sa fille en dehors des frontières de son pays... Ravivant les spéculations sur le choix de son successeur.

Les informations fiables sur Kim Ju-ae sont quasi inexistantes. Même les rumeurs sont lacunaires. Selon la propagande nord-coréenne, l’adolescente est née en 2012. Selon les services étrangers, elle aurait entre 12 et 15 ans. D’après les renseignements sud-coréens, elle serait la fille de Kim Jong-un et de son épouse Ri Sol Ju, une ancienne chanteuse vedette avec qui il s’est marié en 2009. Fait cocasse, c’est l’ancien basketteur américain star de la NBA Dennis Rodman qui a révélé en 2013 l’existence de cette enfant après l’un de ses nombreux voyages à Pyongyang.

Inspection militaire, banquets et visites d’usines

Le monde la découvre le 18 novembre 2022. En doudoune blanche, la fillette est photographiée par l’agence de presse officielle nord-coréenne (KCNA) bras dessus, bras dessous avec son père sur un site de lancement de missile balistique intercontinental. En arrière-plan, un «Hwasong Gun 17» se dresse sur le tarmac de l’aéroport international de Pyongyang.

Kim Jong-un et sa fille Kim Ju-ae à l’aéroport de Pyongyang, le 18 novembre 2022. STR / AFP
Kim Jong-un et sa fille Kim Ju-ae à l’aéroport de Pyongyang, le 18 novembre 2022. STR / AFP

 

Les apparitions publiques de Kim Ju-ae se sont ensuite multipliées. En novembre 2022, elle se tient debout derrière son dictateur de père venu saluer des ingénieurs et des ouvriers d’une usine de munitions. Le 7 février 2023, Kim Ju-ae est photographiée entre son père et sa mère au banquet célébrant le 75e anniversaire de la création de l’Armée populaire coréenne. Cinq mois plus tard, l’adolescente apparaît, toujours avec Kim Jong-un, à une réunion du Comité préparatoire pour le lancement des satellites de reconnaissance militaire. Paire de jumelles à la main, Kim Ju-ae est prise en photo le 15 mars 2024 lors d’une inspection de l’entraînement de l’armée. Plus récemment, le 25 avril dernier, elle est photographiée en train d’échanger avec son père lors de la cérémonie de lancement d’un destroyer à la base de Nampo...

Jovialité et mythologie

Le flou sur son âge est savamment entretenu par la propagande du Juche, le pilier idéologique du régime : son arrière-grand-père et fondateur du régime Kim Il-sung serait né en 1912 ; son grand-père Kim Jong-il en 1942, son père Kim Jong-un en 1982. Rien d’étonnant, pour s’inscrire dans la mythologie familiale, que Kim Ju-ae soit donc née en 2012, centenaire de la naissance de son aieul.

Pour Barthélemy Courmont, professeur à l’Université catholique de Lille et spécialiste de l’Asie orientale, les apparitions, qui plus est dans une mise en scène joyeuse, de Kim Ju-ae aux côtés de son père souriant témoignent de la volonté de ce dernier de «rajeunir son image». «Ce contraste avec son père est très important. Chacun des trois leaders nord-coréens a imposé une iconographie autour de leur personne qui était en adéquation avec l’époque. Celle de Kim Il-sung glorifiait la stabilité. Il se représentait en bâtisseur de la nation. Son fils, Kim Jong-il faisait face à des tournants internationaux rudes. Il se présentait donc comme le protecteur qui consacre son temps, son énergie et sa santé à la survie du régime. Enfin, Kim Jong-un, qui veut impulser des réformes pour son pays véhicule l’image d’un dirigeant qui veut sortir de l’isolement total. Il donne donc une image joviale», analyse-t-il pour Le Figaro. En cela, le dictateur sort des représentations classiques du pouvoir nord-coréen.

 

Le 25 avril 2025, Kim Ju-ae est photographiée avec son père lors de la cérémonie de lancement d’un destroyer à la base de Nampo. STR / AFP
Le 25 avril 2025, Kim Ju-ae est photographiée avec son père lors de la cérémonie de lancement d’un destroyer à la base de Nampo. STR / AFP

 

Dans ce contexte, ajoute Barthélemy Courmont, il n’est pas «surprenant» de le voir se mettre en scène avec son clan. «Montrer qu’il a une famille et des enfants impose une forme de respectabilité et de responsabilité. Ce n’est que de la représentation», ajoute le spécialiste de l’Asie orientale.

Toutefois, remarquent les analystes, sa présence a petit à petit remplacé celle de sa mère aux côtés de son père lors des événements officiels. Petit à petit, elle s’est hissée au premier rang, accompagnant même Kim Jong-un à l’ambassade russe à Pyongyang en mai dernier. De même, son style vestimentaire a évolué : les doudounes classiques ont laissé leur place à un style plus formel : manteaux de cuir, col en fourrure, costumes deux-pièces. Tout comme, sa façon de se tenir en public. «L’enfant, initialement une curiosité familiale, est aujourd’hui un personnage raffiné et rodé, intégré à l’histoire du pouvoir dynastique nord-coréen», déclarait au New York Times  en août dernier le spécialiste des questions coréennes Donald Southerton.

 

Kim Jong-un et sa fille à l’ambassade de Russie en Corée du Nord, le 9 mai 2025. STR / AFP
Kim Jong-un et sa fille à l’ambassade de Russie en Corée du Nord, le 9 mai 2025. STR / AFP
 

Une «successeure» crédible ?

Ses apparitions font-elles pour autant de Kim Ju-ae la future leader de la dictature communiste ? «Il ne s’agit pas d’un simple voyage en famille, mais en réalité d’une “entrée en scène en tant que successeure”», a estimé auprès de l’AFP Lim Eul-chul, professeur à l’Institut d’études extrême-orientales de l’université Kyungnam. Par le passé, a-t-il indiqué à l’Agence France Presse, «on a pu voir que les héritiers consolident généralement leur statut en se rendant en Chine, ou en participant à des événements internationaux afin d’obtenir la légitimité des puissances socialistes». De même, rapporte ce mercredi le New York Times  qui cite Yang Moo-jin, ancien président de l’Université des études nord-coréennes basée à Séoul, en se rendant en Chine, Kil Ju-ae a suivi le rituel de «se présenter» aux dirigeants de la Chine, l’allié le plus important de la Corée du Nord.

Pour autant, nuance Barthélemy Courmont, «elle n’existe pas dans l’organigramme politique du régime et n’incarne rien politiquement». «Ce serait donc aller un peu vite en besogne que de l’affirmer. Ce n’est pas parce qu’elle accompagne son père sur un site de lancement de missiles qu’il lui apprend comment ça fonctionne. De plus, Kim Jong-un est jeune», ajoute-t-il. Toutefois, l’état de santé réel de l’actuel leader est source d’interrogations : il fume, est en surpoids et souffrirait d’hypertension artérielle et de diabète,selon les services de renseignement sud-coréens.

Certes, les femmes en Corée du Nord peuvent jouer un rôle politique et prendre des décisions. Une fonction qu’incarne parfaitement Kim Yo-jong, la sœur de Kim-Jong un, en charge notamment de la relation inter-Corées. Mais une autre question, à en croire les services sud-coréens, subsiste : Kim Ju-ae aurait un frère plus âgé qu’elle. Mais si elle succédait à son père, elle deviendrait la première femme à diriger le pays depuis sa fondation, en 1948.

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